vendredi 12 septembre 2008

L'affaire (3)

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« Il était tard hier au soir, nous traînions vaguement, quand l’affaire est tombée. Henri était parti en urgence quelques instants plus tôt avec deux voitures de policiers en tenue. J’ai bien été un peu surpris quand j’ai compris qu’on appelait le patron à la rescousse. Le vieux s’est rembruni. En enfilant sa veste il a lancé : « Viens petit, je crois que cette fois tu vas voir ta première grosse affaire… ». J’ai suivi. Curieux et émoustillé. Pas pour longtemps…
Bordel, c’était pas beau ! Bon, un crime est un crime… Mais là…
Les voisins n’avaient sans doute jamais eu l’occasion de voir pareille animation autour de ce petit pavillon du vieil Evry. Pas moins de trois véhicules de police. Le médecin légiste. La police scientifique. La voiture du Procureur accompagnée de la juge arrivait en même temps que nous. Un silence surprenant régnait sur ces va et vient incessants.
Le corps était au milieu de la salle de séjour. Sur le dos, les bras en croix. La bouche et les yeux grands ouverts, sous les flashes des photos prises par les policiers, le visage de cette belle femme exprimait encore l’étonnement. Sous le sein gauche, un énorme amas de sang et de chairs déchiquetées. Pas besoin d’être médecin légiste pour comprendre que le coup de feu avait dû être tiré quasiment à bout portant. Plutôt avec un gros calibre.
Mais le plus horrible, ou du moins ce qui choquait le plus, c’est que le léger chemisier de saison avait été arraché. Après le meurtre, et sauvagement, à en croire les pièces de tissu éparses. Et sur le sein droit, une croix sanguinolente, faite semble-t-il avec hargne à l’aide d’une arme blanche. Le téton en est à moitié arraché… J’ai détourné la tête. Une si belle femme…
Près du corps, assis sur le bord d’un fauteuil, les yeux hagards, les bras ballants, un jeune homme. Je note au passage qu’il doit être très beau garçon. Mais là…
Deux gardiens sont auprès de lui. Le Patron me serre le bras et me fait un signe du menton. Il veut que je m’occupe du gars. Juste les premières constatations. Il doit penser qu’il vaut mieux qu’un jeune s’occupe de lui. Le type est profondément choqué. On le serait à moins.

Il était en déplacement en province, à Nantes, depuis une semaine. Il travaille dans le spectacle semble-t-il. Intermittent. J’ai pas tout compris. On verra plus tard. Il est arrivé à Paris par le TGV de 19 heures 15. Il a ensuite pris le RER. Sa femme ne l’attendait pas à la gare d’Evry comme prévu. Il a pris un taxi. Il est arrivé ici vers 20 heures 30. Et il l’a trouvée ainsi. Il a appelé les secours. Après il ne sait plus.
Je dois lui arracher les mots uns par uns. Il est hagard. Je ne pourrai pas en tirer grand-chose de plus pour le moment. Il va falloir que je vérifie ses dires. La routine. C’est un peu écoeurant de toujours douter de tout… Je lui demande quand même qui nous devons prévenir en urgence.
L’ex mari de la victime. Il est en vacances dans les Landes avec les enfants. Il y a trois gosses. Une fille de douze ans et des jumeaux de dix ans. Pauvres gamins.
Le numéro est répertorié sur la touche 5. Je demande si je peux utiliser le téléphone. C’est Ok, la police scientifique l’a déjà examiné. La touche du répondeur clignote. Je fais signe au capitaine, lui et le patron s’approchent. Nous écoutons le message (20 heures20).

- Chérie, c’est moi, je suis arrivé. Tu n’es pas à la gare… … C’est pas grave. Il y a des taxis, je vais en prendre un. J’arrive.



Il y a d’autres messages anciens. Nous les écoutons également. Une amie, qui propose une sortie cinéma il y a deux jours. Un mec. Hier. Apparemment un collègue de la victime, qui lui demande s’il peut passer la voir. Tiens, tiens… Henri note le nom sur son calepin. Encore le compagnon. Il confirme (13 heures) qu’il arrivera bien vers 20 heures 20 à Evry, il demande si c’est Ok pour qu’elle passe le prendre… Cohérent. Elle avait donc vraisemblablement écouté ce message…
Les services enlèvent le corps. A ma demande, le capitaine me précise l’heure probable du crime : vers 18 heures, 18 heures 30. La police scientifique continue de fouiller minutieusement. Pour le moment, aucune trace des armes utilisées. Le procureur et la juge parlent à voix basse. Mais ils se rapprochent quand ils me voient téléphoner. Je mets l’ampli…

- Allo, je voudrais parler à monsieur Albert Bergonses je vous prie…
- De la part ? (Une voix d’homme, jeune. C’est lui ou pas ? Et cette voix ne m’est pas inconnue…)
- C’est personnel et très important. C’est urgent. Merci.
- Mais monsieur Bergonses n’est pas là pour le moment. Pouvez-vous laisser un message ?
- Ici l’inspecteur Lamaison du commissariat d’Evry. C’est très urgent. Savez-vous où je peux joindre monsieur Bergonses ?
- Il est monté pour quarante huit heures sur Paris. Il rentre demain. Je suis désolé… (La juge se rapproche de l’appareil… Aux aguets. Tous ses sens en éveil…)
- Peut-on le joindre à Paris ? Pouvez-vous me donner son numéro de portable ?
- Il ne le laisse jamais allumé le soir… Mais là, il dort normalement chez sa mère à Orléans… Mais que se passe-t-il ? Quelque chose de grave ?
- Vous êtes monsieur ?...
- Monsieur Michedon. Je suis le… Un ami de monsieur Bergonses…
- Désolé, je ne peux rien dire avant d’avoir joint ce monsieur. Avez-vous les coordonnées de Madame Bergonses mère ?
- Oui, bien sûr… Un instant… voila. C’est le 02 38 87 ……..
- Je vous remercie. Nous vous tiendrons au courant dès demain. Bonsoir monsieur Michedon…



La juge me semble plus qu’émoustillée… Un épagneul à l’arrêt devant un faisan… Elle se tourne vers le Patron…

- Quelle étrange coïncidence quand même… Ce monsieur Bergonses, sensé être en vacances à Mimizan avec ses enfants est justement venu faire un saut à Paris le jour où… Bon, je veux entendre ce monsieur dès demain ! Vous ne lui téléphonez pas ! Vous le faites prévenir par le commissariat d’Orléans. Qu’ils lui proposent de le rapatrier au plus tôt, dans son intérêt… Et vous l’entendez dès que possible. J’attends des précisions dès demain matin, Jason. Je compte sur vous…
- Madame le Juge, si je peux me permettre… (Le procureur semble dans ses petits souliers… C’est pas lui le patron ?)… Si je peux me permettre… Monsieur Bergonses n’est pas le premier quidam venu… C’est un homme respectable et respecté de notre ville… Un proche de monsieur le Maire…
- Que je sache… Je ne suis jamais rentré dans ces considérations monsieur le Procureur… Je vois là une coïncidence pour le moins troublante, et j’entends éclaircir la chose au plus vite… Comptez sur moi pour éviter toute publicité inutile. Je suppose que vous ne me demandez pas autre chose ?…
- Je vous ai confié cette affaire madame Filipoint… Ce n’est pas pour m’immiscer dans votre procédure… Mais tenez-moi au courant dans les meilleurs délais…



Le Patron impassible a observé cette passe d’armes sans un mot. Il me prend par le bras…

- Mon p’tit gars, la nuit va être courte… Je le sens pas trop, ce truc… Va pas falloir traîner… Bon, Henri et moi revenons au commissariat, et nous nous occupons de ce monsieur Bergonses. Je le fais rapatrier ici au plus vite. En tant que témoin, pour le moment… On verra ensuite… Toi, tu t’occupes de ce jeune homme. Il s’agit pas de le laisser seul, et puis tu vérifies son emploi du temps. A tout hasard. Ramène-le avec toi au commissariat, pour enregistrer sa déposition…



Je ne comprends pas trop. Ou trop bien peut-être… Ce Bergonses, il brûle les pattes de beaucoup de monde me semble-t-il… Le sieur Vanneaux, lui, ferait un coupable bien arrangeant… Un type vaguement artiste… Mais bon sang, il suffit de le regarder ! Il est sacrément secoué le mec… Bon, de toute façon, il ne faut pas le laisser seul. Faut que je voie pour sa famille. Je dois la prévenir pour que l’on s’occupe de lui… »

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