mardi 3 février 2009

Chap IX La révélation





9






Je n’aurais même pas osé envisager ce cas de figure.
Me retrouver ici, chez moi, à Mimizan, dans la maison familiale, avec Suzy et les enfants. Seuls. Comme autrefois. Putain. Chapeau le mec. Je l’admire le Nico ! Faut qu’il ait une sacrée confiance en lui et en l’amour que lui porte Suzy. Je crois que moi, à sa place, je n’aurais pas pu. Au diable le boulot et le service à rendre ! Ma femme, je me la garde avec moi ! Non mais… Ou alors, puisque de toute façon il était prévu que les enfants restent ici avec l’ex, j’aurais fermement demandé à ma belle de venir avec moi. Histoire qu’elle connaisse mieux le métier que je fais.
Je dois le reconnaître, ça, il l’a proposé. « Tu pourrais venir avec moi à Angers. Même si je travaille dur, au moins tu verrais les spec-tacles ! » Mais Suzy avait refusé. Elle ne voulait pas me laisser seul avec les enfants. Et puis elle se sentait encore fatiguée.
Tout plein d’arguments que je me pensais dans mon for intérieur à moi, et personnellement, assez fallacieux. « Ça serait-y pas qu’elle a envie de se retrouver seule avec moi ? » que je me suis dit !
Non, je n’avais pas vraiment le cœur à plaisanter. Et s’il est vrai que le refus de Suzy m’a quelque peu étonné, j’y ai plutôt vu une preuve de plus que quelque chose ne tournait pas rond pour elle. Pourtant, je les avais pas mal observés ces trois derniers jours. Discrètement, bien sûr. Mais j’étais comme aux aguets, à vouloir déceler les indices d’une anomalie. D’évidence, leur couple était toujours dans la plus parfaite harmonie. Elle le dévorait des yeux. Peut-être même, si cela était possible, encore plus qu’avant l’été. Je voyais s’épanouir devant mes yeux, avec quelques petits pincements au cœur, je l’avoue, cette douce complicité qui nous avait unis en nos premières années de couple. Prévenante, elle anticipait le moindre de ses désirs. Sous le charme, il multipliait les attentions et les gestes de tendresse. Ce qui n’échappait pas aux garçons qui dansaient autour d’eux en psalmodiant :

- Oh, les amoureux ! Oh, les amoureux ! Oh, les amoureux !

Jusqu’à ce que Nico, en riant leur envoie un simulacre de coup de pied aux fesses, ce qui finissait de les mettre en joie.
Non. C’est autre chose. J’ai l’impression de me trouver devant un trou noir qui me met de plus en plus mal à l’aise. J’ai décidé d’attendre que nous nous retrouvions en tête à tête. Là, dans l’instant, elle finit de leur dire bonsoir. Je l’ai précédée dans ce cérémonial. Tacitement nous savons que nous ne devons pas faire le tour des chambres ensemble. Les enfants ont intégré notre séparation, il ne s’agit pas de semer le trouble dans leur esprit !
Comme le faisait mon père, j’ai tiré le lourd fauteuil du salon sur la terrasse. Confortablement installé, les pieds sur un tabouret, je sa-voure un petit cigarillo. Papa n’avait pas les moyens de ce luxe. Il mâchouillait son fume cigarette encore chargé d’un bout de mégot éteint.
Suzy tire un simple fauteuil de jardin pour venir s’installer auprès de moi. Les bras croisés, repliés sur ses épaules, elle frissonne… « Dis, il fait un peu frais ce soir ! ».
Je soupire de bien être. « Comme toujours auprès du lac… Tu entends les grenouilles ? »… Allons… Nous n’allons quand même pas parler de la pluie et du beau temps ! Du lac, des grenouilles qui ont oublié que la saison des amours est finie, ou du silence quand à la nuit tombée les cigales se décident à se taire !
Nous nous taisons, nous, surtout. Un long moment. Qui pourrait être très agréable, s’il n’y avait cette insistante pression sur mon cœur. Je ne sais pas comment commencer. J’ai bien essayé il y a deux ou trois jours d’ébaucher une interrogation. Mais elle m’a coupé, un peu brutalement : « Mais non, que vas-tu chercher ? Je vais bien, je vais très bien même ! » Je me sens tellement balourd.

- Maman et Papa aimaient bien s’installer comme ça le soir, face au lac. Ils y restaient des heures, sans allumer la lumière. A écouter les bruissements de la nuit.
- C’est dommage que ta mère ait refusé de venir passer quelques jours. Ça lui aurait changé les idées. Et elle aime tellement les enfants…
- Et toi aussi, tu aimerais qu’elle soit là, n’est-ce pas ?
- Que veux-tu dire ?
- Je crois que vous vous entendez bien toutes les deux, non ?
- Ça c’est sûr. Je me sens plus en confiance avec elle qu’avec ma propre mère. C’est dur de dire ça, non ? Mais pourtant, c’est tellement vrai !
- Pourquoi dur ? C’est comme ça, c’est tout. Elle-même s’entend mieux avec toi qu’elle ne s’est jamais entendue avec moi ! Bien que, tu le sais bien, je n’ai rien à lui reprocher !
- Mais ça, c’est normal. Tu es un homme. Il y a des choses que nous comprenons sans parler, entre femmes.
- Et par exemple, si elle était ici, il y a des choses qu’elle aurait déjà comprises, elle ?
- Mais quoi ? Tu es pénible ! Arrête de parler par énigme à la fin ! Si tu as quelque chose à dire, tu le dis. Point !
- Suzy… S’il te plait… Je n’ai vraiment pas envie d’une passe d’armes. Nous sommes si bien, là !
- Ben alors, arrête, toi ! Depuis trois jours je te sens là, à tourner autour du pot ! C’est pénible à la fin ! Tu imagines quoi ? Que je suis malheureuse ? Que tu me manques ? Que quoi ?
- Suzy… Je ne prétends rien. Je n’imagine rien. Nous nous connaissons tellement tous les deux ! Tu crois, toi, que parce que nous sommes séparés, je ne te connais plus aussi bien, et que je ne comprends plus rien à rien ? Mais Suzy, je te connais toujours aussi bien, tu sais. Et quand je dis que quelque chose ne tourne pas rond… Je ne sais pas quoi. Ça… Justement ! Je pense que ce n’est pas directement lié à Nico, parce que ça se voit comme le nez au milieu de la figure que vous vous aimez toujours. Je dirais même de plus en plus. Mais ma Suzy n’est pas comme d’habitude, il y a quelque chose. Ça, j’en suis sûr. Et je suis triste de voir que tu refuses de te confier. Oui, c’est peut-être con, mais ça me fait mal !
- … …
- Suzy !!


Elle s’est levée brutalement, et s’est réfugiée à l’intérieur. Je suis surpris. Déstabilisé. Ça non plus ce n’est pas elle ! Une angoisse irraisonnée noue de plus en plus fort ma gorge. Qu’y a-t-il de si grave qu’elle ne puisse l’affronter ? Elle ?
Je ne peux pas la laisser ainsi. Je rentre pour la rejoindre. La retrouver, d’abord. Où s’est-elle réfugiée ? Pas loin. Elle est dans sa chambre, assise sur le lit. Les genoux serrés, courbée en avant, ses mains jointes sur ses genoux tripatouillent un mouchoir. Elle a pleuré. Elle pleure.
Je reste un moment interdit. Je l’ai vue si rarement pleurer ! L’apparence. Toujours l’apparence ! Pour rien au monde elle n’accepterait de donner sa détresse en pâture. Dès lors, je sais que c’est grave. Tout doucement, je viens m’asseoir auprès d’elle. Sans bouger. En silence. De longues minutes. Et puis je laisse aller ma main qui d’elle-même vient recouvrir les siennes. Sans un mot.
Enfin elle se jette dans mes bras, laissant libre cours à son chagrin, les larmes libérées se déversent sur ma joue. Ma main hésitante vient caresser ses cheveux. Je dénoue la barrette qui retient sa coiffure en un chignon savamment désordonné. Sa belle chevelure se répand sur ses épaules et vient cacher son visage. Elle ne dit rien. Je n’ai plus d’impatience. Je sais qu’elle va se confier.
Je bouge légèrement pour pouvoir poser un baiser sur son front glacé. Elle se redresse, essuie ses dernières larmes.

- J’ai un cancer…
- Depuis quand le sais-tu ?
- Quelques jours avant de venir ici. J’ai fait les examens habi-tuels. La mammographie a signalé une anomalie. Le radiologue m’a demandé de retourner voir le Docteur Marchandeau. Voilà.
- Et le diagnostic est catégorique ? Tu as passé d’autres exa-mens ?
- Non, pas encore. Marchandeau m’a dit que c’était très proba-blement une tumeur, mais qu’elle était dépistée à temps. Il faut faire une biopsie pour confirmation. J’ai pris rendez-vous début Août. Il n’y avait pas de créneau avant.
- Il faut attendre confirmation, ma chérie. La mammo n’est pas un examen fiable à cent pour cent !
- Marchandeau n’a aucun doute. C’est le type de cancer qui doit être précisé.
- Tu en as parlé à Nicolas ?
- Non ! Je n’ai pas pu. Je ne veux pas l’inquiéter sans avoir des éléments précis à lui donner. Ça va être tellement dur pour lui ! Il est tellement dans le rêve ! Encore…
- Tu me surprends, là ! Tsss… Ne me dis pas que tu as peur qu’il fuie ! Ça ne me semble pas du tout son genre !
- Oh ! Non, pas ça ! Mais il rêve tellement que nous fassions un enfant. Un enfant à lui.
- Et alors ? Ce n’est pas à écarter. Pas encore. Tu as jusqu’à présent été férocement partisane de dire toujours la vérité, il me semble. Non ?
- Je sais. Je sais. Mais là, je n’ai pas pu. Et c’est ce qui me rend le plus malheureuse. C’est de toi dont j’avais besoin dans ces moments…


Je la reprends dans mes bras. Embrasse son front maintenant brûlant. Caresse de nouveau ses cheveux.

- Je serai là. Je serai toujours là quand tu auras besoin de moi. Je resterai à ma place, crois-moi, j’aime et respecte Nico. Mais je serai toujours là quand la mère de mes enfants aura besoin de moi. Je t’aime encore un petit peu, tu sais ?


Elle s’écarte légèrement de moi. Me gratifie d’un sourire tendre. Reconnaissant ? Elle pose un délicat baiser sur mes lèvres, et revient se blottir sur ma poitrine.

- Je sais. Je savais. Pardonne-moi pour tout à l’heure. J’étais en rage de me sentir ainsi percée à jour par toi. Je voulais tellement que rien ne transparaisse !
- Tu n’as rien à te faire pardonner. C’est encore moi qui ai été plutôt lourd sur ce coup ! Comme toujours. Mais Marchandeau t’a dit quoi, exactement ? C’est quel sein ?
- Le droit. Il dit que d’après la mammo la tumeur est inférieure à huit millimètres. Qu’il faut voir si elle est intrusive. Que l’opération peut, peut-être, être évitée. Mais il m’a quand même demandé d’y réfléchir. Il a beaucoup insisté sur le fait que maintenant, avec les reconstructions simultanées, l’intervention n’est plus traumatisante comme autrefois, surtout lorsque la tumeur est prise à temps.
- C’est plutôt rassurant, non ?
- Tu trouves ? Plus j’y pense, et plus je me demande s’il n’a pas pris beaucoup de précautions oratoires. Comme s’il voulait me préparer à plus grave !
- C’est bien toi, ça… Farouchement adepte de la transparence et du « parler vrai », et si le toubib pose clairement cartes sur table, comme il nous connaît, alors tu soupçonnes anguille sous roche !
- Je suis tordue, tu ne le savais pas ?
- Ouais… Mon adorable tordue… Mais dis-moi, ce coup de fil en juillet, que je n’ai pas bien compris ? Tu savais déjà ?
- Je sortais de chez Marchandeau. J’avais besoin de te parler. Mais je n’ai pu rien dire au téléphone. Et dès que je t’ai eu au bout du fil, j’ai ressenti ma démarche complètement déplacée.
- Déplacée ? M’appeler à l’aide est déplacé ?
- Non ! Paniquer sans avoir d’éléments plus précis était déplacé. Ce n’est pas moi, tu le sais bien. Mais la menace de cette ignoble maladie enlève toute lucidité et objectivité. Je me suis dit qu’il serait bien assez tôt d’en parler ici, à Mimizan, après les autres examens. Et j’ai raccroché. Je ne savais pas alors qu’il me faudrait attendre aussi longtemps le rendez-vous pour la biopsie.
- Je comprends que cette attente doit être effroyable ! Et notre système de santé est l’un des plus performants d’Europe ! Je te dis pas les pauvres anglaises…
- Excuses-moi… Mes propres soucis me suffisent !
- Je suis un idiot…


Nous restons enlacés, sans un mot. Mille pensées assaillent mon esprit. Je dois bien le constater. Je l’aime encore. Et la menace de cette opération ! Ce corps si épanoui, si frais et alerte ! Mutilé. Marqué à vie. Et si elle a des rayons ? Une chimiothérapie ? Pourra-t-elle encore avoir des enfants ? Et même, si les traitements sont longs. Ne sera-t-il pas trop tard, après ? Et Nicolas. Comment va-t-il réagir, lui ? Il est si jeune. Il a la vie devant lui. Supportera-t-il le quotidien avec une malade ?
Je caresse mécaniquement ses cheveux. Je m’imprègne de son odeur. Comme si la maladie risquait ensuite de la modifier.
Suzy, je t’aime. C’est effroyable. Etouffant. Glaçant. Je l’aime. Je l’aime toujours, et pourtant je pense là, à cet instant, à Dominique. Et pas comme à une contrainte. Non. Je l’aime lui aussi. Je le voudrais auprès de moi, là, en cet instant. Sentir son corps jeune, frais et vigoureux me transfuser de la vie. J’aimerais me donner à lui sur le champ. C’est dingue. Je tiens mon ex femme dans mes bras et mon cœur bat violemment pour elle. Et je rêve que mon amant m’assaille, me pénètre, m’arrache la douleur en même temps que le plaisir ! Je suis un pervers.


Un frisson traverse l’ensemble du corps de Suzy. Elle se serre plus fort encore dans mes bras. Je n’ose pas bouger. Quand elle parle, c’est un murmure. Une confidence.

- Tu sais, Al, je n’ai pas vraiment peur de la mort. Nous l’avons l’un et l’autre toujours regardé en face. Je me sens prête à l’affronter. C’est drôle. Elle n’est pas vraiment une menace…
- … … (Je caresse tendrement ses cheveux.)
- Non, je n’ai pas peur de la mort… Pas du tout.
- … … (J’embrasse son front, y laisse reposer mes lèvres.)
- Non. C’est souffrir qui me fait peur. J’ai peur de ne pas être capable de faire face.
- Mais nous n’en sommes heureusement pas là du tout ! Cette putain de maladie, tu la vaincras ! Nous la vaincrons ! Tu ne seras pas seule. Nico, moi, les enfants… Domi aussi… Nous serons tous autour de toi !
- Je serai seule face à la souffrance, Al. Quoi que tu dises.
- Chérie, tu sais les extraordinaires progrès de la médecine. La douleur est prise en charge très sérieusement maintenant. Personne ne te laissera souffrir l’insoutenable ! Nous sommes au XXIème siècle !
- Pendant la maladie… Oui, peut-être… Sans doute… Mais si les choses prennent une mauvaise tournure ? Ils ne maîtrisent plus rien, alors !
- Chérie… Regarde-moi. Quoi qu’il arrive, tu entends, quoi qu’il arrive, je ne te laisserai jamais souffrir. Je serai là. Je te le jure ! Chérie… Jamais !


Je la serre à l’étouffer. Je prends son visage à deux mains, embrasse son front, ses yeux, son nez… Mes lèvres courent sur son visage, vont à la rencontre de son cou, des fossettes des clavicules… Sa respiration est chaotique, saccadée. Elle geint.

- Al, non. Al… Nicolas, Domi… Tu es fou ! Non, Al…
- Je t’aime, Suzy, je t’aime toujours ! Oui, je sais, j’aime aussi Dominique. Mais je t’aime, toi ! Tu es ma femme… Ma femme à moi !
- Al, non ! Nous allons tout de suite le regretter ! C’est de la folie ! Al…
- Non, je ne suis pas fou. Nous ne sommes pas fous ! Je t’aime Suzy. Tu as besoin de moi. J’ai envie de toi. Une dernière fois… Chérie…


Nous sommes allongés maintenant. Mes mains parcourent son corps comme celles d’un aveugle qui cherche désespérément à reconnaître un corps qu’il a autrefois bien connu. Ma bouche dévore son cou, je mordille son menton, mes lèvres retrouvent enfin les siennes… Elle me repousse désespérément.

- Al… La porte…

Je me relève pour fermer la porte de la chambre restée entrouverte. Les enfants. Surtout que les enfants ne se rendent pas compte. Je rejoins Suzy et l’embrasse tendrement avant d’entreprendre de la déshabiller. Gestes connus. Rituel à la fois tendre et passionné. Après plus de treize ans de vie commune, nous étions ainsi chaque fois, émus, vaguement pressés, vaguement maladroits, toujours fébriles. Elle me laisse faire, mais, mine de rien, elle m’aide et me simplifie la tâche. Comme autrefois.
Enfin nue, elle s’étire et se cambre sur le lit, pendant que je me déshabille en laissant mes lèvres découvrir, redécouvrir chaque fossette, chaque mont, chaque rondeur de ce corps magnifique qui semble ne vouloir jamais vieillir. Quand ma bouche a rejoint ses hanches et que mes dents mordillent ses flancs, elle emprisonne ma tête de ses deux mains, plaque mon visage sur son corps, à m’empêcher de respirer ! Je viens de retrouver un de nos points sensibles… Enfin débarrassé de mes rares oripeaux estivaux, je viens la recouvrir de ma lourde carcasse en cherchant ses lèvres.
Au début de notre amour, j’appréhendais de la couvrir ainsi, elle si fragile, si fluette, avec ce corps massif et lourdement athlétique ! Plus habitué aux confrontations viriles et musclées avec mes compagnons, j’avais tout bêtement peur de lui faire du mal ! Je m’usais les coudes à essayer d’alléger cette masse étouffante. C’est elle qui me demanda de la couvrir sans ménagement. « Je veux te sentir, je veux que tu m’étouffes, je veux être totalement à toi ! »
Je glisse quand même sur le côté pour laisser le champ libre à ma main droite qui ne parvient pas à se repaître de cette douceur de soie retrouvée. Mes mains éprouvent le poids de ses seins fermes si bien galbés, le sein droit… Petit flottement… Je baise tendrement cet obus sensuel qui contient, là, sous cette peau diaphane… Non, l’idée est horrible. Je remonte lui voler un baiser qu’elle rend aussitôt tendre et passionné.
Ma main est redescendue flatter le mont et mes doigts jouent avec ses lèvres et s’insinuent dans son intimité. Elle geint de nouveau, bouge un peu pour dégager son propre bras droit et lui permettre de prendre à pleine main mon vit qui n’en peut mais. Tandis qu’elle martyrise délicieusement mon braquemart à son comble, je la sens devenir abondamment humide. Nous avions trop d’envies ce soir, tout va bien vite ! Je me prépare à la posséder, mais elle me repousse fermement et entreprend de calmer le jeu. En me plaçant sur le dos et en remplaçant la branlette musclée par de savantes gâteries. Pour me montrer qu’elle n’a rien oublié.
Au début de notre union, elle avait voulu comprendre ce que je trouvais de plus aux garçons. « Ils font l’amour mieux que moi ? ». J’avais nié, bien sûr, en affirmant que c’était autre chose, de très différent, et puis j’avais avoué que je n’avais jamais trouvé de femme qui suce aussi bien qu’un homme. « Je veux que tu m’apprennes… » Merveilleux souvenirs de séances pédagogiques fort ludiques !

Malgré tout son art du tempo, et des judicieux moments de diversion qu’elle sait créer, je ne tiendrai pas longtemps à ce rythme.
Elle le comprend et d’autorité vient s’empaler sur ma hampe. Ivresse de plaisirs connus et toujours renouvelés. Sa bouche s’empare de la mienne, ses seins, pendants, agacent ma poitrine. Ma main droite glisse entre nos ventres pour venir titiller le clitoris. Je sens la pression monter. Je suis bêtement fier de savoir ainsi maîtriser mon plaisir et calquer mon propre rythme sur celui de mon ou de ma partenaire. Plaisir fou de l’explosion simultanée !
Sauf que là… Je sens la pulsion de Suzy se retirer. Oh, je la connais bien, et je sais ses limites. A cet instant, le plaisir lui échappe, et elle s’acharne pour me conduire, moi, au paroxysme. Je la connais bien. Déjà elle n’est plus suffisamment humide. Je la bloque dans mes bras pour interrompre la chevauchée fantastique, et doucement, je nous fais basculer pour me retrouver au dessus d’elle. Nous nous comprenons si bien au lit ! Elle me voit venir. Elle enlace mon cou et me murmure à l’oreille : « Non, toi ! Toi, prends ton plaisir ! ».
Je la regarde, lui souris, vole un petit baiser avant de me laisser glisser le long de son corps, en embrassant et suçotant chaque millimètre de peau que ma bouche rencontre. Enfin, j’évite le clitoris trop exacerbé, et je viens jouer avec les petites lèvres que je mordille et lisse de ma langue. J’introduis cette dernière à l’orée de la caverne, là où la muqueuse est sensuellement granuleuse. En relevant ses jambes, je cajole et exaspère sa corolle et ma langue tente une introduction. Puis je remonte de nouveau vers la douceur originelle. Mes doigts prennent vite le relais pour masser la vulve et s’imprégner de la lubrification. Une fois ainsi graissé, mon majeur reprend le chemin abandonné par ma langue, je la doigte tout en douceur. L’index a rejoint le conduit à la recherche du point « G », et les deux doigts, en ciseaux, pincent et travaillent la fine et fragile paroi qui sépare les deux conduits.
La tension a été détournée. Je peux reprendre la progression. Mes doigts continuent leur œuvre, pendant que mes lèvres retrouvent le chemin du clitoris. Mes sucions, mes léchouilles, mes excitations multiples, mon index s’attardant sur le point crucial, je sens rapidement la modification de sa respiration. Ses apnées se font plus fréquentes. Ses gémissements sont étouffés par un coin entier du drap qu’elle mord pour ne pas perturber le sommeil des enfants.
Suzy m’attire vers elle. « Viens, viens... Maintenant... » Je retourne prendre ses lèvres.
Le plaisir nous plonge dans un profond silence pendant de longues minutes.
Epuisée, elle vient se blottir dans le creux de mon cou et de mon épaule. Sa tête a sa place, là.

De longues, longues minutes. Et enfin, dans un souffle : « Al, qu’allons-nous devenir maintenant ? »


Je suis bien incapable de répondre. Je n’ai pas pris le temps d’y réfléchir. Je ne me suis pas posé de question. Je l’aime. Ces jours derniers, plus je percevais sa détresse, et plus j’avais envie d’elle. Lui faire l’amour pour tout effacer. Comme chaque fois que nous avions rencontré une difficulté. Rien ne pouvait nous résister lorsque nous avions touché ainsi du doigt la puissance de notre amour.
Maintenant. Maintenant, oui, je commence à mesurer la portée de notre folie. Dominique. Un vent de panique m’envahit à l’idée que je puisse le perdre. Non ! Je l’aime ! Je l’aime trop ! Je l’aime, lui aussi ! J’ai besoin de ses rires, de sa fraîcheur, de son enthousiasme, de son amour inconditionnel ! De son corps aussi. L’image de son torse puissant et musclé, où le plus petit des muscles frémit lorsqu’il fait le moindre effort, de son fessier si ferme, avec une adorable fossette sur chacun de ses lobes, de son sexe toujours prêt, toujours offert, tendre ou agressif, conquérant ou docile. Ces images qui se superposent au corps ferme et soyeux de Suzy, langoureusement abandonné après m’avoir donné des plaisirs tellement intenses ! Choisir… Choisir ? Mais pourquoi diable faudrait-il choisir ?

- Je ne sais pas ma chérie. Je ne sais pas. Là, en cet instant, tu viens de me montrer que tu m’aimes toujours. Moi, je n’ai jamais douté de mon propre amour.
Et puis il y a ta vie. Il y a Nico. Cet amour passion qui vous unit, qui crève l’écran.
Et puis il y a Domi. Cet amour improbable, cet amour impossible qui me remplit et me ravit. J’ai peur de le perdre… Je ne sais pas chérie. Je voudrais tout, et j’ai peur de tout perdre… Comme toi sans doute.
- … …
- Putain, c’est beau les principes ! Quand on n’est pas confronté à leur mise en application !
- Je suis un principe ? Un beau principe ?
- Chérie, tu es une preuve ! Une merveilleusement preuve matérielle que la liberté est plus facile à énoncer qu’à mettre en pratique ! Couple libéré… Que je disais…
- Je détruirai Nico si je le quitte. Tu sais, il est beaucoup plus fragile qu’il ne le paraît !
- Je ne veux pas réfléchir et me torturer ce soir. Tu es là. Nous sommes là. Je veux profiter et vivre pleinement cette nuit… Demain sera un autre jour. Nous verrons…

(Chapitre X)

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