lundi 2 février 2009

Chap VIII Retour aux sources





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Enfin Mimizan. J’ai rejoint les vacanciers hier au soir tard. Presque tout le monde dormait. Olivier tenait compagnie à Suzy, ils discutaient dans la cuisine en m’attendant.
Ils arboraient tous les deux un hâle impressionnant. Ils n’ont pas eu besoin de me dire qu’il fait un temps magnifique. Malgré nos fré-quents joggings avec Domi, parfois en petite tenue, à côté je fais plutôt cachet d’aspirine. Il est vrai que ce dernier mois !
Bureau + bureau = blanc de chez blanc !
Je ne m’en inquiète pas trop : dans quelques jours d’aucuns pourront croire que je viens des îles !
Bien entendu un petit café m’attendait. Il m’a donné la force d’échanger quelques mots malgré ma fatigue. J’ai été rapidement rassuré : Aline et Olivier restent encore ce week-end. Nous aurons le temps de parler un peu, et j’aurai plaisir à revoir leurs deux gamins. Autre bonne surprise, Nicolas et Suzy prolongent également une semaine de plus. Nico a appris l’annulation de la tournée prévue par la jeune troupe de danse dont il soutient la création sur le plan technique. Le danseur vedette et fondateur a été rappelé en urgence par son ancienne compagnie, avec laquelle il est toujours lié, pour un remplacement en catastrophe. Les tourtereaux devraient donc être encore là lorsque Domi me rejoindra. Tout se goupille vraiment bien cette année.
Je ne tenais plus debout. Je suis allé me coucher. La journée avait été particulièrement longue. Ranger un minimum l’appartement, faire un petit détour, trop court, par Orléans pour embrasser ma mère, accompagner Dominique en Vendée dans son camp de voile. Après un repas léger et une sieste polissonne dans les dunes, j’avais enfin pris la route des Landes…
Nous n’avons plus vingt ans, ma bonne dame… Merci. Bonne nuit.


Journée de rêve ! C’est un bonheur pour moi lorsque cette maison bruisse du sol au plafond d’une vie sans contrainte. Résonne des piaillements des enfants. Les souvenirs d’enfance m’envahissent alors chaleureusement.
Lorsque, pendant l’été, la maison était le rendez-vous de l’énorme tribu familiale. Les hasards de la vie avaient dispersé les cinq frères et sœurs de Maman dans tout le sud-ouest, mais à la belle saison c’est ici, près de l’océan, les pieds dans l’eau du lac, que tous se retrouvaient. Toutes les chambres étaient occupées. Nous, les enfants, campions dans les pièces mansardées du grenier. Une pour les garçons, une autre pour les filles. Tous âges confondus. La notre qui dans l’année servait de grenier et de débarras, était partiellement dégagée pour la période d’été. Dans les jours qui précédaient, il m’incombait de stocker dans un coin de la grange ce qui ne craignait pas trop. Les vieux livres et les vieilles revues, eux, étaient empilés le long des murs, cachés par des rideaux sommaires faits de toiles à matelas. Ah, les prodigieuses après-midi de pluie passées à feuilleter ces ouvrages incompréhensibles ou rococos…
Des matelas, roulés et empilés dans un coin pendant l’hiver, jonchaient le vieux parquet. Sans me faire prier je libérais ma chambre et partageais cet espace avec trois de mes cousins. Julien, le grand, qui ne nous gênait pas beaucoup, et ses jeunes frères Daniel et Arnauld, des jumeaux (hé, oui, ça tient de famille !) également plus âgés que moi. Ah, ce trouble que je ne comprenais et n’analysais pas trop, lorsque, couché en premier, le regard filtrant à la lisière du drap remonté jusqu’au front, faisant semblant de dormir, je regardais mes cousins dans le plus simple appareil faire des effets de musculature devant la vieille armoire à glaces…
Petit dernier de la tribu arrivé par accident, j’ai cinq ans de moins que les jumeaux. Ils m’associaient cependant volontiers à leurs jeux, mais au fil des années, leurs intérêts s’éloignaient quelque peu des miens. Fort agréablement bâtis, jouant en experts de leur ressemblance troublante, à quatorze ans ils commençaient gaillardement à courir la gueuse. Et moi, à l’époque, je préférais largement passer des heures à pêcher sous les ponts du Courant ! Ce n’est que quelques années plus tard, lorsque j’ai eu treize ou quatorze ans, que je présentais une stature imposante et commençais même à les dépasser en taille, qu’ils ont entrepris de me déniaiser. Je les suivais dans leurs dragues effrénées sur la plage de l’océan, où ils m’utilisaient pour occuper la petite sœur qui collait trop à la belle qu’ils visaient. J’ai su en profiter. Largement.
Leur frère, aîné de deux ans, rentrait le plus souvent lorsque nous étions couchés. Monsieur avait une petite copine en titre. Ses parents se rengorgeaient de ses succès à tout juste seize ans, et lui laissaient toute latitude pour ses horaires.
Très gentil garçon, si ce n’est que Julien était le petit mâle caricatural. Macho en diable. Pourtant…
Pourtant, c’est bien lui qui, un jour où son amoureuse était absente, m’a entraîné au fond de la grange pour m’expliquer en quoi consis-taient ses jeux avec sa copine. Exercices à l’appui. Il m’a initié à la masturbation, m’a branlé jusqu’à ce que je le supplie de cesser après une jouissance désespérément sèche, puis a guidé ma main avec autorité pour que je lui rende le même service. Il a exigé que j’embrasse son vit incandescent juste lorsque, haletant puis la respiration bloquée, de puissants jets venaient s’écraser sur son torse et son ventre, là à quelques centimètres de mon nez ! Cette odeur… Ce trouble qui m’a bouleversé ! Ces jets qui ne semblaient vouloir cesser m’impressionnaient.
Sans doute suis-je depuis toujours en quête de ces images fonda-trices. Lorsque le plaisir amène un partenaire de rencontre à lâcher parcimonieusement quelques gouttes qui glissent le long de sa hampe pour venir se perdre dans ses poils pubiens, j’éprouve toujours le petit pincement au cœur d’une fugace déception. Heureusement (pourquoi dis-je heureusement ? Hein, pourquoi ?), Domi a plus que répondu à mes attentes, et très vite ravalé ces images au rang de souvenirs désuets.

Cinq cousines partageaient la chambre voisine. Occasion de multiples jeux. Apprentissage de la vie sociale, de la séduction à la provocation. Rien d’important à mes yeux d’enfant. Le plus souvent d’ailleurs, je menais une vie solitaire au milieu de cette foule piail-lante.
D’autres cousins, nés des sœurs aînées de Maman, étaient plus grands, certains mariés avec enfants. Ils ne passaient qu’occasionnellement. Bonheur total pour moi à chaque fois. J’adorais m’occuper de ces bébés, leur donner à manger, assister à leur change, les faire jouer dans leur berceau ou tenir leurs me-nottes pour assurer leurs premiers pas. Je ne le formulais pas clairement, mais je savais déjà que là était ma vraie vie. Je ne pouvais concevoir mon avenir sans avoir des enfants. Mes propres enfants.

Chaque repas était un moment de fête. Dès que le temps le permettait, c'est-à-dire en cette période le plus souvent, la grande table était mise sur la terrasse, à l’ombre du grand frêne. Les cigales chantaient dans les pins tout proches. A une quinzaine de mètres, le lac clapotait sur notre bout de plage quasiment privée… Un paradis pour les enfants. Il était parfois difficile d’obtenir que l’un de nous sorte de l’eau pour aider à mettre le couvert. C’est drôle. Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble maintenant que c’était souvent mon tour… Privilège des petits ?
Nous étions le plus souvent une quinzaine à table. Parfois plus. Mes parents, un frère et une sœur de Maman et leurs conjoints, Julien, les jumeaux, les cinq filles et moi. De temps en temps quelque autre cousin et sa famille ! Je ne vous dis pas l’entreprise ! Surtout qu’avec Maman, hors de question de faire un petit repas à la sauvette ! Ce n’était pas l’époque où l’on se contentait d’une salade composée et d’un bout de fromage ! Les trois femmes passaient la matinée à faire la cuisine. Et après le repas, elles se retrouvaient toutes les trois avec une ou deux des filles pour la vaisselle. Nous les entendions rire de l’extérieur. Mais pas question d’aller voir ! Cuisine interdite aux hommes. C’était comme écrit sur la porte.
Les hommes, eux, se faisaient une raison et sortaient les boules pour une partie de pétanque sur le bout de chemin qui mène au lac. Papa avait une relation très forte avec le beau-frère de Maman. Ils étaient comme deux frères. Non, plus que des frères. Tonton Fernand était d’origine espagnole, avait un accent à couper au couteau, mais c’est sa gorge qu’il aurait tranchée plutôt que de dire du mal de Papa. Papa, lui, sans doute frustré d’avoir été fils unique, aurait donné sa chemise et même plus pour Tonton Fernand. Celui-ci est parti trop tôt. Accident cardiaque. Papa a été profondément affecté. Quelques mois plus tard, sa maladie d’Alzheimer débutait.
Nous, les enfants, jouions dans la forêt clairsemée qui borde le lac. Pas question de se baigner ! L’eau était interdite jusqu’à seize ou dix-sept heures. Les parents étant obsédés par les risques d’hydrocution. Faut dire qu’avec les repas que nous faisions ! Pas question non plus de prendre les vélos pour aller à la mer. Nous devions attendre.
Heureusement les copains et copines qui habitaient le village venaient souvent nous rejoindre. Le coin est tellement idyllique !

Mais pourquoi diantre ce sont les souvenirs de cette période de mes neuf ans qui remontent ainsi, en premier, à la surface ? Ces étés familiaux ont duré jusqu’à mes vingt ans, lorsque je suis monté à Paris pour finir mes études. Et puis la vie a fait son œuvre. Chacun a suivi son chemin. Maintenant, il n’y a guère que les mariages et les enterrements qui nous réunissent.


Nadège a décidé semble-t-il qu’elle me monopoliserait pour cette première journée. Elle m’accompagne partout, me prend le bras pour se promener avec moi, ou vient poser sa tête sur mon épaule lorsque je suis assis. Elle m’assaille de questions, me demande des nouvelles de sa Mamy, ma mère, que je suis passé voir avant de descendre. J’aurais voulu qu’elle vienne quelques jours ici, dans sa maison. Nouveau refus ferme et obstiné. Pas question qu’elle s’éloigne de la maison de retraite de mon père. Elle veut pouvoir y aller au plus vite si on l’appelle. Il y a bien longtemps que nous avons abandonné l’idée de faire sortir Papa, même pour de courts séjours. Il a maintenant besoin de soins constants et une vie strictement végétative. Alors, je donne ces nouvelles à ma fille. Avec beaucoup de pudeur mais aussi d’honnêteté. Suzy et moi avons toujours voulu que les enfants n’ignorent rien des aléas de l’existence. Ce n’est pas en leur masquant les problèmes que nous les préparerions à affronter la vie…

J’ai quand même pu passer un long moment avec Aline et Olivier. Nico et Suzy nous ont rejoints un peu plus tard, et nous avons profité d’une merveilleuse après-midi. Brusquement les motivations de ma fille m’ont sauté aux yeux…
Les enfants d’Aline et Olivier sont un brin plus jeunes que nos jumeaux. Nadège prend ses distances et marque ostensiblement qu’elle est maintenant dans le camp des grands. Sa puberté ne la chatouillerait-elle pas un petit peu ?
Sur l’insistance des petits, nous avons pris les voitures pour aller à la plage. Autrement dit, à l’océan. Suzy a rit.

- « Encore une fois nous ne devrions pas avoir de problème pour nous garer… Nous partons quand tous les autres reviennent… »

J’ai reçu la pique cinq sur cinq. Inconsciemment, je reproduis les habitudes de mon enfance. La plage en fin de journée. Je sais bien pourtant que Suzy et les enfants préfèrent y passer la journée, en n’emportant qu’un pique-nique vite grignoté dans un repli de dune à l’abri du vent ! Mais j’aime bien mes aises, un bon repas, et j’ai horreur de croquer du sable.

Pour les enfants d’Olivier, c’est la dernière baignade à l’océan. Ils repartent demain. Ils pourront bien entendu encore profiter du lac avant le départ, mais pas plus. Les adieux sont prévus après le repas de midi. Aline voudrait arriver chez eux avant minuit. Il lui restera une petite semaine pour remettre la maison en marche, elle doit ensuite partir seule rejoindre des collègues, et encadrer un stage d’orchestre dans le Doubs. La vie d’artiste a aussi ses servitudes !
Pour cette ultime baignade, il semble que l’océan a sorti sa grande tenue de gala. Aussitôt garés, de derrière la dune, en entendant le vrombissement des vagues nous avons su que le spectacle serait grandiose.

- « Les enfants, je crois qu’il va falloir faire très attention aujourd’hui… L’océan veut vous dire au revoir… »

Les rouleaux sont impressionnants. De puissantes vagues se dressent les unes contre les autres, s’accrochent, se bousculent, s’enlacent. Faisant jaillir d’impressionnants nuages de gouttelettes qui irisent dans le soleil descendant. De multiples arcs en ciel apparaissent et disparaissent à chaque flux. Passé la dune, le vent est cinglant, chargé de ces minuscules grains de sable des vastes plages landaises. Les estivants qui n’ont pas fui ont ré enfilé leurs tee shirts, et protègent leurs jambes avec leurs draps de bain.

- « Les enfants, vous êtes sûrs que vous voulez vous baigner ? »

Mais allez faire faire demi-tour à cette bande d’assoiffés d’eau de mer ! Heureusement, la marée est descendante, et déjà de petites baïnes se dessinent sur la plage. Les baïnes ? Ce sont des sortes de grandes cuvettes qui se forment sur nos immenses plages de la côte atlantique. La houle creuse progressivement le sable, formant un banc parallèle à la plage. Ces cuvettes sont parfois assez étendues et profondes, elles constituent à marrée basse de véri-tables petites piscines d’eau de mer. Des plans d’eau sans doute agréables pour jouer, mais terreur des surveillants de baignade et des maîtres nageurs sauveteurs. A l’une des extrémités, il se forme toujours un chenal où l’eau s’engouffre à marée descendante pour rejoindre l’océan. S’en suit un courant souvent très violent, responsable chaque année de graves accidents, quand ce ne sont pas des noyades.
Pourtant, pour quelqu’un qui connaît la côte, respecte l’océan, et sait qu’on ne joue pas davantage avec lui que l’on ne joue avec les hautes cimes des Pyrénées, ces endroits sont merveilleux, surtout pour les enfants. Un peu plus loin, à l’écart de la plage centrale, il y en a toujours une qui se forme depuis des années, qui va, qui vient, à quelques dizaines de mètres près. Elle est profonde, enfants nous aimions y plonger pour ramener des palourdes. Maintenant ! A part des coquillages vides ! Déjà, elle se devine, et là-bas, les vagues s’affaiblissent en butant sur le banc de sable. Nous nous dirigeons donc vers cette extrémité de la plage, contournant par de chaotiques zigzag les vacanciers qui grelottent sur leur coin de sable, mais qui pour rien au monde ne perdraient quelques quarts d’heures des rayons de soleil. Dire qu’à quelques kilomètres de là, sur le bord du lac, à l’abri des grands pins, le temps est chaud et merveilleusement calme !
Une fois posé notre campement, juste au pied du panneau qui menace : « ATTENTION : DANGER, Baignade non surveillée », Aline et Suzy entraînent les petits vers une cueillette de coquillages en attendant que la marée descende encore un peu, jusqu’à ce que le courant s’échappant du chenal ne soit plus dangereux.
Les trois hommes restent ensemble, en compagnie de Nadège qui décidément ne me lâche pas. Agréable moment de silence et de calme, à savourer les rayons du soleil encore chauds à l’abri du vent. Les deux frères ont repris une conversation familiale visiblement suspendue un peu plus tôt. Nadège me fait un grand câlin. Douceur des après-midi d’été. Je voudrais qu’ils ne cessent jamais…

Pourtant, depuis le matin, je ressens un malaise confus. Suzy m’intrigue. Je ne la sens pas naturelle comme d’habitude. Elle semble jouer un personnage. Surjouer je devrais plutôt dire. Tout à l’heure par exemple, quand elle a plaisanté sur l’heure tardive de notre départ à la plage. J’ai pensé « Bien sûr, il fallait qu’elle dise ça ». Je ne sais pas… Comme une absence de spontanéité. Là, maintenant, elle tient le petit Daniel par la main, rit, laissant ses che-veux flotter dans le vent, entraîne le gamin dans des démarrages brusques vers un trésor aperçu au loin. « Il faudra que je lui parle. » J’ai pensé ça, comme ça. Je me connais bien. J’ai appris à écouter mon instinct. Je profite d’un moment où finalement Nadège ne peut résister à l’attrait d’une cueillette de coquillages, et j’interromps Nicolas dans sa conversation qui de toute façon décline aimablement.

- Nico, ça va ?
- Ben… Oui, ça va ! Pourquoi tu me demandes ça ?
- Non, rien… Je voulais juste dire, enfin je te demandais, le séjour s’est bien passé ?
- Oh, oui, ça, super… Merci d’ailleurs, pour mon frère et moi. On ne s’était pour ainsi dire pas vus depuis l’été dernier. Là, nous avons passé de supers moments !
- … … Et… avec Suzy, ça va ?
- Ben, oui ? C’est quoi, là, ton problème ?
- Je ne sais pas… Je la trouve tendue…
- Tendue ? Non… Je crois pas. Elle est très fatiguée. Les premières semaines de juillet, avec les gamins à la maison, elle n’a pas vraiment réussi à récupérer. Ici, j’ai essayé de la décharger un max. Et regarde, là, elle cavale !


Je ne veux pas être lourd. Après tout, ce n’est qu’une vague impression. C’est sûr, il faut que je lui parle. Juste pour me rassurer. Tout à l’heure peut-être. Ou demain, lorsque nous serons plus au calme.


Aline et Olivier ont quitté Mimizan à peu près à l’heure. D’évidence, ils sont beaucoup mieux organisés que nous ne l’étions, Suzy et moi. Les départs étaient toujours des moments de stress. Le dernier pipi, au dernier moment. Cyril est un spécialiste. Une demi-heure qu’il joue dehors avec son frère, et au moment de fermer la porte… « Où est Cyril ? »… « Aux toilettes, il arrive… Ah, ne commence pas à stresser ! »… Et le gaz ? Avons-nous bien fermé le gaz ? Ah, et la bouteille d’eau fraîche ! Nous allions partir sans eau. S’il fait chaud sur la route… Ah, et les volets de notre chambre ? Tu les as bien fermés au moins ? Il vaut mieux vérifier… « Mais Nadège où vas-tu maintenant ? », « Je reviens… J’ai oublié le maillot de bain pour ma poupée… »… J’en passe. Et des meilleures. A mettre dans les anales, les départs de la famille Bergonses… (Avec une « s » siou plait ! J’y tiens !)
Ce n’est plus mon problème. Pour le moment. Je souris en pensant à mes départs, le plus souvent au contraire à l’arraché. Je dois y aller ? Les chaussures, la veste, et hop, deux minutes après la voiture démarre. Les affaires dont je peux avoir besoin ? Elles sont généralement prêtes. L’attaché case n’attend qu’à être enlevé, un sac de voyage est bouclé en moins de cinq minutes. J’avoue que je suis assez chiant sur ce point. Même Domi a râlé lorsque nous sommes partis avant-hier. « Mais enfin, nous ne sommes pas aux pièces ! Tu la reverras ta femme ! Laisse-moi le temps de vérifier que je n’oublie rien ! » Je suis chiant. Souvent. Je sais.

Maintenant, il va falloir que le couple Suzy Nicolas et moi trouvions nos marques. Nous ne nous sommes encore jamais retrouvés ainsi, ensemble au quotidien. Et je tiens par-dessus tout à ce que Nico se sente à l’aise. Je n’ai pas voulu qu’ils me cèdent la grande chambre où ils s’étaient installés. « Notre » chambre. J’ai repris ma chambre d’enfant. Elle a l’avantage d’être à l’autre bout de la maison, avec sa propre entrée, je ne les gênerai pas. Ils pourront faire l’amour sans craindre que j’entende. Et puis j’y suis bien, entouré de souvenirs. J’étais ado lorsque nous avions remplacé le lit d’enfant par un grand lit. Un vrai « baizodrome » comme je suggérais aux copains que j’invitais à visiter. Mes parents, eux, avaient vu l’avantage de la souplesse lorsque toute la famille débarquait. J’étais alors renvoyé au grenier, et un couple pouvait prendre ma place. Il y a encore mes livres sur les étagères. Toute la bibliothèque verte, le Club des Cinq et Sans Famille côtoient les Alexandre Dumas, les Zola, tous les Victor Hugo… Dire que je dévorais tout ça et que j’ai été orienté vers une formation d’ingénieur ! Bon, honnêtement, je ne regrette rien.
Oh ! Un vieux Jean-Louis Bory : « Le Pied » ! Qu’est-ce qu’il fiche là ? Il faudra que je le remonte. Bah, Domi sera ravi de trouver quelque chose à lire ici !
Oui, nous allons devoir trouver nos marques, et faire face à cette situation nouvelle. Déjà, Domi doit plutôt m’appeler après le repas de midi, pendant la sieste. Il n’encadre pas des ados cette fois-ci. Il s’agit d’un stage de perfectionnement sportif pour jeunes adultes déjà expérimentés en navigation. Il a donc moins de contraintes. Et puis j’ai bien la ferme intention de beaucoup profiter de mes enfants, de m’en occuper au maximum. J’enverrai les tourtereaux se balader en amoureux, et moi, j’irai à la plage avec Nadège et les garçons. Ça devrait le faire.


Avec tout ça, au bout de trois jours, je n’ai pas encore trouvé le temps et l’occasion d’être en tête à tête avec Suzy. Quand la nouvelle tombe. Nicolas est sollicité pour remplacer en urgence un collègue qui a trouvé le moyen de se blesser assez sérieusement en se laissant tomber une poutrelle sur le pied. Nico connaît bien ce festival et son Directeur Technique. Depuis des années il faisait partie de l’équipe de machinos. Cette fois-ci, il avait dû refuser ce job pour assurer la régie plateau de la petite compagnie de danse. Pour que finalement celle-ci déclare forfait ! Etrange boulot aléatoire que ce métier d’intermittent du spectacle…
Nico ne court pas après les heures, il sait qu’il a largement son statut, malgré les nouvelles règlementations contraignantes et iniques. Mais un boulot ne se refuse pas dans ce métier sans une raison valable. Sinon, ça vous revient un jour ou l’autre sur le coin de la gueule. Bon. Il ne reste que deux jours de festival. Il pourra revenir pour le dernier week-end et remonter sur Paris avec Suzy. Elle le rassure. Il ne devrait y avoir aucun souci. C’est un peu dommage, c’est tout.

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