mardi 3 février 2009

Chap X La vie continue...





10






J’ai retrouvé le fauteuil de salon que nous avions laissé sur la ter-rasse. Heureusement il n’a pas plu. Les portes et portes-fenêtres sont également restées largement ouvertes. Sans avoir la phobie des visites noctambules, ce n’est quand même pas très sérieux !
Au moins l’intérieur de la maison a bien pris le frais de la nuit !
Il n’a pas plu, mais le velours du siège s’est gorgé d’humidité. Si près du lac… Je m’y installe quand même avec délectation. J’ai juste enfilé un short, et la fraîcheur du tissu me donne des frissons et dresse les poils de mes bras. J’aime.
Je m’allonge confortablement, m’étire, pose mes pieds sur le tabouret et allume une cigarette. Rhôô ! Si Domi était là ! Il me mène la guerre contre ces premières bouffées prises avant le moindre petit repas. Mais je les trouve tellement bonnes ! Elles me font si délicieusement tousser ! J’attends que le café ait fini de passer. Le pain dégèle. Suzy et les enfants ne sont pas encore réveillés. Je ne vais quand même pas petit déjeuner tout seul !
Ce sont les garçons qui posent pieds à terre en premier. Nadège et Suzy suivent de près. Suzy fait chauffer le lait pour les enfants. Na-dège s’assoie sur mes genoux pour un câlin. Les jumeaux cavalent déjà dans la pinède. Nous ne pourrons pas parler de nouveau en tête à tête pendant un bon bout de temps. J’envoie Nadège sortir les bols, et je vais saluer Suzy d’un baiser sur le front.
Elle me repousse tendrement mais fermement. « Allez, prends le café, tiens… ».
Faire comme si. Quelque chose me dit qu’elle a fait son choix, elle.

Nadège s’est plongée dans un nouveau livre. « Le Comte de Monte Christo ». Elle semble bien avoir récupéré mon virus de la lecture. Les garçons ont entrepris une cabane dans la pinède. Eux aussi doivent se raconter une belle histoire. Je propose à Suzy de faire une petite promenade le long du lac. Nous y passions de longs moments autrefois, pendant que ma mère veillait sur la sieste de Nadège. Plus tard aussi, il nous arrivait de nous échapper ainsi, lorsque quelque parent ou ami pouvait rester à la maison pour les enfants. Combien de fois avons-nous fait l’amour, abrités dans la petite crique, au milieu des roseaux ?
« Oui, mais pas trop longtemps. » a-t-elle répondu à mon interrogation.
Un long moment nous marchons en silence. Ni l’un, ni l’autre n’ose engager la conversation. Pour ma part, je voudrais que le temps se fige, que tout s’arrête en cet instant. Vivre la beauté de l’instant pré-sent, ne pas avoir de question à se poser sur l’avenir. Fixer le bon-heur, écarter les idées sombres.

- Nicolas m’a appelé tout à l’heure. Il arrive demain à midi à Bordeaux. Je lui ai dit de prendre la navette, que j’irai le chercher à Ychoux. Il faudra que je parte vers midi trente.
- Dis donc, ça ne le fait pas partir trop tôt d’Angers, cet horaire ?
- Non, vers sept heures et demie. C’est raisonnable, bien qu’il m’ait dit qu’ils risquent de terminer le démontage tard dans la nuit !
- … …
- Je suis heureuse qu’il revienne tout de suite…
- … …
- Tu ne dis rien ?
- … … J’essaye de réfléchir. De comprendre. D’imaginer ce que nous allons faire.


Suzy s’arrête, et me fait face. Elle me regarde, ébauche un maigre sourire, caresse ma joue d’un geste tendre et bouleversant.

- Ce que nous allons faire ? La vie continue, Al, c’est tout !
- Je m’attendais à ce que tu dises cela. Dès ce matin, j’ai compris que tu avais pris ta décision. Mais quand même !...
- Quand même ?
- Quand même, je voudrais comprendre. Comprendre comment tu peux écarter si froidement cette nuit que nous venons de vivre. Où nous avons retrouvé intacts nos amours, l’un et l’autre… Ne dis pas non ! Comprendre enfin où est-ce que j’ai pêché ? Quelles fautes j’ai commises pour que tu t’éloignes ainsi de moi ? Nous n’en avons jamais parlé en fait. Quand je me suis senti de trop, je suis parti, comme je te l’avais promis. Mais je n’ai rien compris.
- Tu n’as rien compris ? Vraiment ? Oh, Al… J’ai été tellement reconnaissante que tu ne cherches pas à rendre les choses compliquées ! Pas maintenant !
- Non, non ! Je vais me retirer, sans bruit. Sans histoire. Je t’aime trop pour te faire le moindre mal, tu le sais très bien. Mais là, maintenant, j’aimerais comprendre, avant que Nico ne revienne entre nous.
Je ne t’ai jamais trahi. Comme j’en avais fait le serment, je n’ai jamais ouvert mon âme à qui que ce soit d’autre que toi. Domi l’entrouvre maintenant, petit à petit. Péniblement. Et je ne pensais vraiment pas que mes petites aventures ridicules …
- Mais ce ne sont pas tes aventures qui m’ont éloigné de toi, Al ! Absolument pas ! J’ai toujours voulu, et je peux dire je crois, toujours respecté ta « double vie » ! Disons ton jardin secret, si tu préfères.
- Alors ? Je ne comprends pas ! Je comprends de moins en moins !
- Ce n’est pas ta double vie, Al, qui a progressivement mis en charpie cet amour pour toi que je croyais indéfectible. C’est que petit à petit, tu n’as plus eu de double vie… Justement.
- Je ne comprends plus ?
- J’ai passé ma vie à t’attendre, Al !
- Mais tu mélanges tout ! J’ai été très, trop, pris par le travail, je le sais, et tu le sais bien ! Je ne faisais quand même pas que des galipettes, quand je n’étais pas à la maison !
- C’est toi, là encore, qui parles de galipettes, pas moi ! Je te le redis, tes rencontres à l’extérieur ne regardaient que toi, et toi seul. Je ne t’ai jamais fait une réflexion à ce sujet ! Je t’attendais, c’est tout. Même quand tu étais près de moi, je t’attendais.
Que ce soit à cause du travail, à cause de coups durs au bureau ou chez un client, à cause d’amis rencontrés autour d’un bon repas, à cause d’une partie de jambes en l’air, ou à cause d’inquiétudes qui envoyaient ton esprit ailleurs au lieu de rester auprès de moi, ça ne changeait pas beaucoup pour moi : je t’attendais. Les enfants t’attendaient. Et je leur disais quoi, moi, quand ils me demandaient « Il revient quand, Papa ? » ?
- Hé bien, que j’étais retenu par mon travail, tout simplement !
- Oui, le travail, toujours le travail ! Ils en avaient raz la casquette du travail, les enfants ! Et moi aussi !
Mais ce n’est pas le plus grave !
- … Explique ?
- S’il fallait t’attendre, nous t’attendions. Avec la joie de penser : « Il va bientôt arriver ! ». Mais souvent, trop souvent, tu n’arrivais pas. Le pire, Al, c’est que nous ne pouvions jamais compter sur toi. Je ne pouvais jamais donner quelque crédit à tes promesses. Nous ne savions jamais quand tu arriverais, si tu allais arriver.
Combien de fois le soir ai-je fait patienter les enfants en jouant ou en leur lisant une histoire, pour au bout du compte les coucher trop tard, sans qu’ils t’aient vu. Et Nadège, qui ne parvenait pas à s’endormir tant que tu n’étais pas venu lui faire le baiser du soir !
- Tu dresses un tableau très noir, là !
- Ah, non ! Non ! Ne viens pas dire maintenant que je ne te l’ai jamais dit ! Toutes nos conversations difficiles, (je ne peux même pas parler de disputes, non), toutes ont été autour de ce thème ! Je ne savais plus comment te le dire.
- Je sais… Mais je te répondais aussi que tu attendais trop de moi, qu’il fallait que tu aies ta vie à toi, tes activités, tes plaisirs, tes amis. Ton jardin secret.
- Et allez, pirouette, et ça va encore être de ma faute ! Trop amoureuse ! Al… Faut-il que je te rappelle les nombreuses fois où tu as « oublié » un rendez-vous important ? Chez le médecin, avec les enseignants des enfants ? Le spectacle de fin d’année des jumeaux !
- Ah, ça y est ! Nous en avons parlé au moins cent fois ensemble ! Et tu sais très bien que ce sont des contraintes professionnelles qui m’ont empêché !
- C’est bien là le plus grave, Al ! Je sais très bien que ce n’était pas pour un rendez-vous galant ! Justement ! J’aurais pu alors me dire : « C’est de ta faute ma vieille, tu as choisi, maintenant tu assumes ! ». Mais non !
Je n’ai pas aimé et épousé un homme pour qui sa vie de famille était accessoire, un homme pour qui tout était prioritaire, tout, sauf sa femme et ses enfants ! Non ! J’ai épousé un homme aimant, attentionné, qui m’a accompagné dans mes grossesses comme peu d’hommes le font ! Qui partageait sans rechigner les tâches ménagères. Non, mieux que ça ! Qui refusait que l’on puisse dire que telle ou telle tâche était davantage du ressort de l’un ou de l’autre. Ces grands principes que tu défends encore dans ta boîte, avec la parité homme femme.
Et puis tu as créé ta propre structure. Tu voulais être le chef ! Mettre en pratique tes grandes idées socio économiques ! Et tu as changé. C’est toi qui a changé, Al ! Pas moi. Mon amour, il s’est délité, tout doucement parce que je ne te reconnaissais plus.
- Bordel, quel gâchis !
- Oui, un énorme gâchis, Al. J’y ai ma part. Je n’ai pas pu, pas su, pas réussi à dire tout cela quand il aurait été encore temps. Je n’y parvenais que dans des grosses discussions, douloureuses, mais que tu n’entendais pas vraiment. Le lendemain tout repartait à l’identique. J’ai trop souvent souf-fert, Al.
- Putain, quel con je suis !
- Si jurer te fait du bien !
- C’est mon boulot… C’est à cause du boulot que je vous ai perdus, c’est ça ?
- Pas uniquement, Al, pas uniquement ! Maintenant, ne vas pas reporter toute la responsabilité sur ton travail qui, quand même, est une belle réussite.
- Tu appelles une réussite une entreprise qui a tout détruit de ma vie de famille, de mon bonheur ? Tout détruit ce qui, en vérité, est ce qui compte le plus pour moi au monde ?
- Al ! N’accuse pas les autres, entreprise ou personne. C’est toi, Al, et toi seul qui est en cause !
- Alors je n’ai rien compris !?
- Je te dis ça, mon chéri, parce que je t’aime encore un peu. Et que parfois j’ai des frissons quand je te vois reconduire les mêmes mécanismes avec Dominique. Pourtant, nous ne nous voyons pas souvent tous les trois. Prends en conscience, Al. Sinon tu cours à ta perte. Jean-Yves, moi, Dominique… Regarde un peu, Al, regarde !
- Mais je ne comprends pas ! Aide-moi Suzy, je t’en prie ! C’est trop dur !
- Ah non ! Tu ne vas pas pleurer ! Encore ton affectivité qui remonte à fleur de peau ! Comment peut-on être à la fois aussi solide et aussi fragile ? Non ! Je ne te prendrai pas dans mes bras ! Non, Al, regarde-toi en face pour une fois !
- Dis-moi, alors…
- Je te disais tout à l’heure que ce n’était pas ta double vie qui posait problème. Mais au contraire que tu n’en avais plus qu’une… La tienne ! Toi. Toi et les petits oiseaux ! Les autres ne sont qu’accessoires, ils font partie de ton décor.
- Suzy ! Là tu exagères !
- Si peu ! J’ai essayé de te le faire comprendre tant de fois ! Même quand tu étais avec moi, tu n’y étais pas vraiment. Même dans ces moments là je devais te partager !
- Précise, s’il te plait ?
- Des exemples ?... Quand nous nous promenions dans les rues ou à l’Agora. Je te sentais en quête permanente. Tu crois que je ne remarquais pas lorsque tu regardais les jolis garçons ? Mais mon pauvre ! Je les remarquais avant toi ! Je te connais bien, tu sais ! « Tiens, celui-ci va lui plaire… ». Et malgré ton bras sur mon épaule ou autour de ma taille, je sentais ton léger ralentissement. Je n’avais pas besoin de tourner la tête pour savoir que toi, tu jetais un œil en arrière après son passage. Pour vérifier que le verso valait bien le recto. Et pour, à tout hasard vérifier si, lui, ne se retournait pas aussi.
Je n’étais là que pour le décor, Al… C’était flatteur pour toi d’avoir une jolie femme à ton bras. Ton regard ne pouvait qu’en être plus provoquant !
- Là, tu te racontais des histoires !
- Des histoires ? Allons ! J’ai pris conscience de ça pour la première fois, il y a bien longtemps, j’attendais les jumeaux, nous nous promenions dans les rues d’Aurillac, Nadège entre nous, nous donnait à chacun une menotte… C’est en voyant le jeune éphèbe prendre l’escalier après un regard circulaire que j’ai réalisé que nous arrivions à des toilettes publiques souterraines. Je me suis dit : « Non, pas celui-là, il est très jeune et trop efféminé. Ce n’est pas son style. ». Mais tu as subitement eu envie de pisser, et tu nous as plantés là sur la place, Nadège et moi !
- Mais je n’ai fait que pisser ! Je suis remonté aussitôt !
- Tu vois, tu t’en souviens ! Oui, tu n’as pas traîné. Quand même ! Encore heureux ! Mais moi, je savais qu’il ne te plaisait pas, et toi tu as eu besoin de vérifier. Ou d’aller voir s’il n’y avait pas quelqu’un d’autre en bas ?
- Tout ça me semble tellement ridicule !
- Ridicule de se sentir ravalé au rang d’accessoire ? D’accessoire encombrant, même ?
- Mais tu n’as jamais été accessoire pour moi, merde ! Je t’ai aimé, je t’aime, comme je ne pourrai jamais plus aimer ! Comme je n’ai jamais aimé. Mais je ne pouvais pas ne voir que toi, continuellement ! La vie autour existe ! Merde !
- Moi aussi j’avais envie d’exister. Et tu le sais bien, on n’existe vraiment que par le regard de l’autre. Et ton regard, il n’était pas pour moi. A la rigueur, je pouvais le partager.
- Suzy, non ! C’est trop con !
- Je ne sais pas si c’est con ou pas. C’est.
Vois-tu, Nicolas a un métier difficile, qui le fait énormément voyager. Il s’absente souvent. Souvent le week-end. Mais quand il me dit : « Je serai à Ychoux à treize heures treize. », je sais qu’il y sera. Sauf imprévu grave. Je l’attends paisible-ment. Sans me ronger les sangs. Et quand il est avec moi, il est avec moi. Rien qu’à moi. Quand il arrive, il pose ses soucis professionnels avec le parapluie. Sur le perron. Et il rentre disponible.
- … …
- Lorsque tu avais une aventure, je le savais. Et tu savais que je le savais… Et je savais que tu savais que je le savais… Bref, nous étions dans le non dit le plus complet !
- Ça, je m’en rendais compte aussi. Et j’en souffrais ! Sans savoir comment casser ce mécanisme. Je ne me voyais pas rentrer à la maison et te dire : « Tu sais chérie, je viens de me faire un petit mec, Mmmm… » ! Je voulais te faire souffrir le moins possible. Alors, j’essayais d’assumer. Mais surtout pas de noyer le poisson, reconnais-le !
- Ce n’est pas ça ! Enfin, pas tout à fait, je vais y revenir. Ce que je voulais dire, c’est que je n’ai jamais été trompée par tes horaires à l’emporte-pièce. J’ai même envie de dire, « hélas ! ». Quand tu avais un rendez-vous professionnel, il était programmé, les choses étaient claires. Quand tu avais rendez-vous avec un mec, tu le disais. Enfin, tu le sous-entendais : « Je rentrerai tard ce soir. ». Quand tu avais une rencontre fortuite, je le savais aussitôt, avant même que tu me dises bonsoir ! (Et ce n’était pas nécessairement les soirs où tu rentrais le plus tard.) Mais quand je t’attendais en vain, quand tu rentrais n’importe quand, sans avoir prévenu de ton retard, quand c’était un copain, un collègue, un de tes collaborateurs que tu avais invité dans l’urgence au restaurant, ou même quand il t’était tombé dessus un pépin quelconque au boulot… Sans me prévenir, ou en laissant un simple message. Sans t’excuser du retard… Ça revenait à me faire comprendre que j’étais le dernier de tes soucis, et ça, c’était insupportable !
- Non ! Tu ne peux pas avoir pensé ça !
- Mais si, Al, bien sûr !
- J’y crois pas ! J’y crois pas… Tu voulais aussi dire autre chose ? Tant qu’on y est ?
- … ? Ah, oui… Tu ne me disais pas que tu avais rencontré quelqu’un. Mais je le savais. Parce que tu étais encore plein de lui. Plein du plaisir que tu venais de prendre. Or, je me suis parfois amusée à te provoquer, à t’aguicher. A jouer la louve en chasse. Enfin, à jouer… Je ne sais même plus ! Peut-être bien aussi que j’étais réellement excitée à l’idée que tu revenais d’un corps à corps torride ! Bref. Je te provoquais, et jamais, jamais tu ne t’es défilé ! Comme si tu y mettais un point d’honneur. Comme si tu pensais qu’ainsi tu me donnais une preuve de ton amour. Et l’amour, tu me le faisais… Bien, comme tu sais le faire. Plutôt mieux même que d’habitude.
Tu le sais bien, nous avons tous les deux des souvenirs de séances de pur délire, d’une sensualité à fleur de peau.
- Et ça aussi, tu me le reproches ?
- Non, Al, je ne te reproche rien ! Là, c’est moi qui me faisais mal toute seule. Parce que je ne savais pas si tu me faisais si bien l’amour pour te faire pardonner, ou bien par obligation et par orgueil, ou bien parce que tu étais encore plein du souvenir de ton amant de passage, et que tu pensais encore à lui.
- Non ! Là tu….
- Arrête ! Je dis simplement que je ne pouvais pas penser comme une évidence que tu me désirais et me possédais parce que j’étais désirable et que tu avais envie de me prendre. Cette certitude qui rend les femmes belles… Le doute était là, Al ! C’est tout… Le doute était là… Point.
- Oh, Suzy ! Suzy ! Me dire tout ça, là, en vrac ! Tu pensais donc que je ne t’aimais pas ?
- Allons, ne joue pas la mauvaise foi ! Il ne s’agit pas d’amour, là ! Mais de reconnaissance ! Bien sûr que tu m’aimais. Et je n’en doutais pas. Mais j’avais soif de reconnaissance. Comme toutes les femmes.
Nous avons envie que vous remarquiez notre nouvelle coiffure, la nouvelle robe, le maquillage sensuel… Non par coquetterie, mais pour se sentir exister aux yeux de celui que l’on aime ! Ça aussi, pour toi… Pas trop !
- Mais tu t’es toujours moqué des apparences ! Tu préférais nettement que je te soutienne dans tes combats militants, non ?
- Bien sûr. Et nous avons tellement de choses en commun sur ce plan ! Mais la reconnaissance, Al ! Exister dans les yeux de l’autre !
- Je l’ai cherché, je sais… Mais me jeter tout ça à la figure !
- Je ne te jette rien au visage, Al. Je veux que tu comprennes. Que tu comprennes ma décision. Je veux que notre relation repose désormais sur des bases plus saines.
- Oh ! Ta décision ! Elle est claire maintenant. Tu n’as plus besoin de me la dire.
- Al, écoute… Ecoute-moi… Cette nuit, j’ai beaucoup réfléchi. A tout ça. Je n’ai pas beaucoup dormi.
Je te regardais, toi. Tu dormais, paisible, un sourire aux lèvres. Comme un petit enfant apaisé après avoir retrouvé son jouet préféré et qui s’est endormi avec sa peluche adorée à portée de la main…
- Quand même ! Là…
- Lorsque j’ai appris pour le cancer, c’est vers toi que je me suis retournée. J’avais besoin de ton amour, de ta force. De tes certitudes et de ta confiance dans la vie. De ton appétit de vie quasi carnassier ! C’est avec toi que je voulais réfléchir… Comprendre, décider… Je n’ai pas pensé aux conséquences possibles. Pour nous. Pour nos couples. Enfin, je crois plus exactement que j’en acceptais le risque…
Mais maintenant que tu m’as redonné la force d’y croire et de me battre… C’est Nicolas que je désire auprès de moi. Son attention de tous les instants. Sa disponibilité sans faille. Son amour simple, sans fioritures, sans complication. Ce même amour que tu me vouais au début de notre mariage. J’en ai besoin, là, maintenant ! Et ce n’est plus toi qui peux me le donner !
- … … Tu me donnes une baffe phénoménale, j’ai envie de crier : « Non ! Non ! » ! Et pourtant je sais que tu as raison.
Je sais, je réalise un petit peu, là, à quel point j’ai fait notre malheur.
Mais je t’aime Suzy. Je t’aime toujours. Ce que je disais hier au soir est toujours vrai. Je serai toujours auprès de toi quand tu me le demanderas ! Toujours ! La baffe est peut-être salutaire. Je crois que je vais sérieusement lever le pied par rapport à mon job.
- Ce n’est pas pour moi que je le souhaite mon chéri. Ça, pour moi et ta présence auprès de moi dans les moments difficiles à venir, je le savais. Je l’ai toujours pensé. Mais c’est pour toi que je le souhaite. Pour toi et Dominique.
Je pense que c’est un garçon rare que tu as rencontré. Ne le perds pas. Sois suffisamment disponible avant qu’il ne soit trop tard. Cesse de courir dix lièvres à la fois.
- Domi… Oui, Domi… Il était tellement loin de mes pensées ces dernières heures, le pauvre…
- Il t’aime, Al. Tu disais que pour Nico et moi ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Lui, Domi, il ne semble respirer que par, ou pour toi ! Tu n’as pas le droit de le décevoir ! Non, tu n’as pas le droit !
- … Dur, dur, de t’entendre dire ça !
- Viens, allez, rentrons… Les enfants sont seuls.




Suzy était déjà partie chercher Nicolas à Ychoux quand Dominique m’a téléphoné. Sa fâcherie de la veille, je n’avais pas pris mon por-table pendant notre promenade avec Suzy, et je ne l’ai rappelé que le soir, était oubliée. Je ne l’ai jamais vu bouder bien longtemps. Hier soir je lui ai dit qu’il se passait des choses importantes dans la vie de Suzy et que nous en parlerions quand il serait là. Son appel d’aujourd’hui était pour me confirmer qu’il arrivait bien samedi soir.
J’ai laissé Nicolas et Suzy se retrouver tranquillement. J’avais laissé un mot sur la table, et j’avais emmené les enfants à la plage. Sans faire la sieste.
Seul, au calme dans ma chambre, ce soir j’essaye de faire le point et de mettre à jour ce texte. Je viens de revenir sur le compte-rendu de notre échange d’hier, Suzy et moi. J’avais oublié de transcrire quelques petits reproches. Tiens donc ! Oh, je n’ai pas la prétention d’avoir été fidèle et exhaustif. Tout a été tellement intense pour moi, j’ai vraiment le sentiment d’en avoir pris plein la tronche.
Je sais qu’elle m’a aussi dit quelques trucs positifs. Mais je ne les retrouve plus au moment d’écrire.

Et puis, il y a quelque chose d’étrange, qui me dépasse un peu dans l’écriture de ce texte-ci. J’ai doucement ripé vers un drôle de truc que je n’avais pas prévu.
J’ai commencé à écrire ces pages fin mai. Il y avait six mois que j’avais rencontré Domi. Il voulait fêter ça. (Avec lui, nous fêterions bien un « anniversaire » tous les mois… Tous les jours, même. Comme si chaque jour gagné ensemble était une victoire pour lui !) Bref. Qu’importe le prétexte pour faire une petite fête ! Superbe soi-rée, et j’avais eu une idée simple de cadeau : j’ai attendu ce soir là pour lui proposer de quitter son studio et de s’installer définitivement avec moi. J’ai parfaitement réussi mon coup. Il a été bouleversé.
C’est là que l’idée a germé. Le succès oblige à l’excellence, je devrais trouver encore mieux la fois d’après. Pour le vrai anniversaire, dans six mois, j’allais lui offrir le livre de notre aventure. De notre rencontre. Pour l’impression et la reliure, pas de problème. Un de mes clients me ferait ça aux petits oignons. Mais il fallait du conte-nu ! Dans les jours qui ont suivi, je m’y suis mis. Bon, je n’avais pas beaucoup de temps, et je n’avançais pas vite.
Ben si, quand même ! J’ai rattrapé le temps, ou le temps m’a rattrapé. Petit à petit, imperceptiblement, je me suis retrouvé à écrire au presque jour le jour. Autrement dit, je me retrouve à écrire un journal intime. Moi !
Bon, que je sois dépassé par les évènements, ou plutôt que je me laisse guider par eux, rien que d’habituel. J’ai toujours fonctionné un peu comme ça.
Mais que j’écrive un journal ! Pourquoi pas un blog tant qu’on y est ! Quand je surfe sur Internet, je tombe souvent sur ce genre d’outils. Il y a les amusants, ou les polissons, dont chaque billet n’est que prétexte à afficher de (parfois) belles photos de filles ou de mecs à poil, ou des vidéos pornos… Intéressant, de temps en temps.
Mais tous ces cloaques, rose bonbon ou vert fluorescent, où des demoiselles expliquent leur drame pour trouver les chaussures avec les bons talons, ou bien ceux de ces messieurs qui se bouffent le nez à propos de politique ou de football… Beurk !
Le clou c’est lorsqu’un jour je suis tombé sur un papy qui donnait des recettes de confiture ! La classe !

Allons, plus sérieusement. Je suis partagé. Je n’ai pas du tout envie de tenir un journal au jour le jour où je raconterais le merveilleux bonheur qui est le notre, à Domi et à moi ! Et d’un autre côté, je tournais en rond depuis des semaines pour trouver comment expliquer l’éclatement du couple Suzy Albert, et rendre compte de la discussion d’hier remplace bien des pages d’écriture !
On verra. Disons que pour le moment je vais noter ainsi des moments forts de notre vie, et que, dans un deuxième temps, je retra-vaillerai cette matière pour faire un petit livre sympa à offrir à mon amoureux pour nos un an… Mon amoureux. Oui, je dis bien. Non, mais… Mon mec peut bien être également mon amoureux !

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