mercredi 10 septembre 2008

L'affaire (2)

.../...


« Comment tout expliquer en quelques phrases à ce jeunot ? La juge Filipoint est la doyenne des juges d’instruction. Guère plus jeune que moi. Ça fait des années que nous bossons ensemble. Et avec elle, pas de doute, tout doit filer droit… Rigoureuse et précise, indiscutablement. Droite et réglo. Tout le monde le reconnaît. Instruction à charge et à décharge. Professionnelle. Toujours. Enfin, presque. Car il y a une seule chose qui peut lui faire, d’une certaine manière, péter un câble : les affaires de mœurs. Elle est coincée du cul, la vieille… Méchamment. Vieille fille catho caricaturale. Et quand elle va lire ça ! Nom de Dieu… Si le Procureur avait su avant, c’est sûr, il ne lui aurait pas confié ce dossier. Mais maintenant… »

Le commissaire regarde l’inspecteur et hausse les épaules…

- Bon, nous, dans tout ça, il va falloir relativiser et savoir garder nos distances. Nous ne sommes pas les godillots de la juge, hein ?
- … …
- C’est sûr, qu’à lire ce torchon… (Bien entendu, Henri va vérifier que ce ne sont pas de purs fantasmes...) En lisant, dès le premier coup d’œil, je suppose que tu tires les mêmes conclusions que moi : on se retrouve avec de sacrés mobiles à la fois pour les deux témoins suspects…
- Je ne suis pas allé aussi loin, Patron… Je tape les rapports, déjà… Et les conclusions, c’est la partie du capitaine Henri, non ? Des mobiles ? Dans ce texte, tous les deux sont présentés comme amoureux fous de la victime !
- Justement ! Justement ! Le mari essaye de raccrocher sa femme. Il y parvient presque. Et elle lui échappe… Il vient la relancer chez elle (chez eux !), ça tourne mal, et il la trucide de désespoir… Quant au compagnon en titre, il rentre d’une mission en province. Madame Bergonses lui dit la vérité, peut-être lui annonce qu’elle va le quitter, il devient fou, et la tue… Les deux se tiennent mon petit. Les deux se tiennent…
- Oui, c’est vrai, ces hypothèses m’ont traversé l’esprit. Mais… …
- Mais ? …
- Il y a aussi le cancer. Le mari a fait le serment à sa femme de ne pas la laisser souffrir… Il pourrait avoir voulu lui éviter toutes les souffrances à venir…
- Et pour cela il aurait arraché le bustier de son épouse et supplicié son corps ??
- Pour se protéger et écarter les soupçons, un criminel est capable du pire !
- Ah le beau cas d’école que ce serait, hein ! Non, mon petit gars, non… Toutes les pistes doivent être envisagées, c’est évident. Mais ce mec amoureux fou mais résigné, tel qu’il apparaît dans ses écrits, mutiler le corps de l’être aimé ? Non, non, j’en suis certain… Je ne le « sens » pas… Vois-tu petit, le flair dans notre métier, c’est primordial. Même s’il faut aussi savoir distancier et veiller à tout contrôler… Je ne le sens pas… Pas du tout… Par contre, une crise de jalousie… De l’un ou de l’autre, possible… Etrange, mais possible… Où en êtes-vous de la vérification de l’alibi du jeune Vanneaux ?
- Il est toujours très choqué. Sincèrement, je ne crois pas du tout à une quelconque culpabilité en ce qui le concerne… J’ai enregistré sa déposition, avant de le laisser partir. Il est chez un frère, à Paris. Aucune charge contre lui pour le moment. Pourtant, c’est vrai qu’il ne parvient pas à être précis. Tout est flou. Il a finalement reconnu être parti de Nantes à 13 heures et non à 17 heures comme il l’avait déclaré initialement…
- Mais c’est bon, ça ! On ne raconte pas des histoires sans raison ! Donc il était bien arrivé à Paris, et il pouvait se trouver à EVRY au moment du crime… Il est fichu le p’tit gars… Tu « ne crois pas du tout »… Mon petit, ce n’est pas une expression à employer dans notre boulot… Et il dit quoi, maintenant ?
- Il déclare être resté à la gare de Lyon dans un café, à attendre pour ne pas arriver trop tôt chez lui…
- Elle est bonne, celle-là ! Mais vérifiez Nom de Dieu, vérifiez !
- Henri s’en occupe, Patron…

Fait chier le Patron ! Lamaison sent passablement la pression monter. Il le respecte le Patron, c’est sûr. C’est un monsieur. Il a entendu raconter bon nombre de ses hauts faits professionnels. Il en a débroussaillé de sacrées affaires ! Autrefois ! Le fameux « flair » dont il parle… Mais maintenant, ce gros veau avachi sur son bureau, à longueur de journée plongé dans ses chiffres, qui empeste avec ses havanes qu’il continue à fumer sans vergogne en dépit des lois et des règlements ! Même le Directeur a mis les pouces sans obtenir qu’il se plie aux règles. « C’est comme ça ou vous entamez une procédure de licenciement pour faute grave ! »… A quelques courtes années de la retraite !
Quand le grand patron lui a annoncé que lui, le petit inspecteur Lamaison, allait partager provisoirement le bureau du commissaire… Il n’en a pas cru ses oreilles. Bon, il est suffisamment sur le terrain ou en réunion avec les collègues, mais quand même… Il a d’abord pensé que le Patron ne l’encadrait pas et voulait le casser… Mais non… Il le paterne presque…

Aucun commentaire: