- Je sais… Mais je te répondais aussi que tu attendais trop de moi, qu’il fallait que tu aies ta vie à toi, tes activités, tes plaisirs, tes amis… Ton jardin secret…
- Et allez, pirouette, et ça va encore être de ma faute… Trop amoureuse !… Al… Faut-il que je te rappelle les nombreuses fois où tu as « oublié » un rendez-vous important ? Chez le médecin, avec les enseignants des enfants… Le spectacle de fin d’année des jumeaux…
- Ah, ça y est… Nous en avons cent fois parlé ensemble ! Et tu sais très bien que ce sont des contraintes professionnelles qui m’ont empêché !
- C’est bien là le plus grave, Al… Je sais très bien que ce n’était pas pour un rendez-vous galant ! Justement ! J’aurais pu alors me dire « C’est de ta faute ma vieille, tu as choisi, maintenant tu assumes ! ». Mais non ! Je n’ai pas aimé et épousé un homme pour qui sa vie de famille était accessoire, un homme pour qui tout était prioritaire, tout, sauf sa femme et ses enfants ! Non ! J’ai épousé un homme aimant, attentionné, qui m’a accompagné dans mes grossesses comme peu d’hommes le font ! Qui partageait sans rechigner les tâches ménagères… Non, mieux que ça ! Tu refusais que l’on puisse dire que telle ou telle tâche était davantage du ressort de l’un ou de l’autre… Ces grands principes que tu défends encore dans ta boîte, avec la parité homme femme… Et puis tu as créé ta propre structure. Tu voulais être le chef ! Mettre en pratique tes grandes idées socio économiques… Et tu as changé… C’est toi qui a changé, Al… Pas moi. Mon amour, il s’est délité, tout doucement parce que je ne te reconnaissais plus…
- Bordel, quel gâchis…
- Oui, un énorme gâchis, Al… J’y ai ma part. Je n’ai pas pu, pas su, pas réussi à dire tout cela quand il aurait été encore temps. Je n’y parvenais que dans des grosses discussions, douloureuses, mais que tu n’entendais pas vraiment. Le lendemain tout repartait à l’identique… J’ai souvent souffert, Al…
- Putain, quel con je suis…
- Si jurer te fait du bien…
- C’est mon boulot… C’est à cause du boulot que je vous ai perdus, c’est ça ?...
- Pas uniquement, Al, pas uniquement… Maintenant, ne vas pas reporter toute la responsabilité sur ton travail qui, quand même, est une belle réussite…
- Tu appelles une réussite une entreprise qui a tout détruit de ma vie de famille, de mon bonheur ? De ce qui, en vérité, est ce qui compte le plus pour moi au monde ?...
- Al ! N’accuse pas les autres, entreprise ou personne. C’est toi, Al, et toi seul qui es en cause !
- Alors je n’ai rien compris…
- Je te dis ça, mon chéri, parce que je t’aime encore un peu… Et que parfois j’ai des frissons quand je te vois reconduire les mêmes mécanismes avec Dominique… Pourtant, nous ne nous voyons pas souvent tous les trois… Prends en conscience, Al. Sinon tu cours à ta perte… Jean-Yves, moi, Dominique… Regarde un peu, Al, regarde !
- Mais je ne comprends pas ! Aide-moi Suzy, je t’en prie ! C’est trop dur !
- Ah non ! Tu ne vas pas pleurer ! Encore ton affectivité qui remonte à fleur de peau ! Comment peut-on être à la fois aussi solide et aussi fragile ? Non ! Je ne te prendrai pas dans mes bras ! Non, Al, regarde-toi en face pour une fois !
- Dis-moi, alors…
- Je te disais tout à l’heure que ce n’était pas ta double vie qui posait problème… Mais au contraire que tu n’en avais plus qu’une… La tienne. Toi. Toi et les petits oiseaux… Les autres ne sont qu’accessoires, ils font partie de ton décor…
- Suzy ! Là tu exagères !
- Si peu… J’ai essayé de te le faire comprendre tant de fois ! Même quand tu étais avec moi, tu n’y étais pas vraiment. Même dans ces moments là je devais te partager...
- Précises, s’il te plait…
- Des exemples ?... Quand nous nous promenions dans les rues ou à l’Agora… Je te sentais en quête permanente. Tu crois que je ne remarquais pas lorsque tu regardais les jolis garçons ? Mais mon pauvre ! Je les remarquais avant toi ! Je te connais bien, tu sais… « Tiens, celui-ci va lui plaire… ». Et malgré ton bras sur mon épaule ou autour de ma taille, je sentais ton léger ralentissement… Je n’avais pas besoin de tourner la tête pour savoir que toi, tu jetais un œil en arrière après son passage… Je n’étais là que pour le décor, Al… C’était flatteur pour toi d’avoir une jolie femme à ton bras… Ton regard ne pouvait qu’en être plus provoquant…
- Tu te racontais des histoires !
- Des histoires ? Allons… J’ai pris pour la première fois conscience de ça, il y a bien longtemps, j’attendais les jumeaux, nous nous promenions dans les rues d’Aurillac, Nadège entre nous, nous donnait à chacun une menotte… C’est en voyant le jeune éphèbe prendre l’escalier après un regard circulaire que j’ai réalisé que nous arrivions à des toilettes publiques… Je me suis dit « Non, pas celui-là, il est très jeune et trop efféminé. Ce n’est pas son style… ». Mais tu as subitement eu envie de pisser, et tu nous as plantés là sur la place, Nadège et moi…
- Mais je n’ai fait que pisser ! Je suis remonté aussitôt !
- Tu vois, tu t’en souviens… Oui, tu n’as pas traîné. Quand même ! Mais moi, je savais qu’il ne te plaisait pas, et toi tu as eu besoin de vérifier… Ou d’aller voir s’il n’y avait pas quelqu’un d’autre en bas…
- Tout ça me semble tellement ridicule !
- Ridicule de se sentir ravalé au rang d’accessoire ? D’accessoire encombrant, même ?
- Mais tu n’as jamais été accessoire pour moi, merde ! Je t’ai aimé, je t’aime, comme je ne pourrai jamais plus aimer… Comme je n’ai jamais aimé… Mais je ne pouvais pas ne voir que toi, continuellement ! La vie autour existe ! Merde !
- Moi aussi j’avais envie d’exister. Et tu le sais bien, on n’existe vraiment que par le regard de l’autre… Et ton regard, il n’était pas pour moi. A la rigueur, je pouvais le partager…
- Suzy, non ! C’est trop con !
- Je ne sais pas si c’est con ou pas. C’est. Vois-tu, Al, Nicolas a un métier difficile, qui le fait énormément voyager. Il s’absente souvent. Souvent le week-end. Mais quand il me dit « Je serai à Ychoux à treize heures treize… », je sais qu’il y sera. Sauf imprévu grave. Je l’attends paisiblement… Sans me ronger les sangs… Et quand il est avec moi, il est avec moi. Rien qu’à moi. Quand il arrive, il pose ses soucis professionnels avec le parapluie. Sur le perron. Et il rentre disponible.
mardi 26 août 2008
La vie continue... (3)
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