Je n’aurais même pas osé envisager ce cas de figure… Me retrouver ici, chez moi, à Mimizan, dans la maison familiale, avec Suzy et les enfants. Seuls. Comme autrefois. Putain. Chapeau le mec. Je l’admire le Nico ! Faut qu’il ait une sacrée confiance en lui et en l’amour que lui porte Suzy. Je crois que moi, à sa place, je n’aurais pas pu. Au diable le boulot et le service à rendre ! Ma femme, je me la garde avec moi ! Non mais… Ou alors, puisque de toute façon il était prévu que les enfants restent ici avec l’ex, j’aurais fermement demandé à ma belle de venir avec moi. Histoire qu’elle connaisse mieux le métier que je fais. Je dois le reconnaître, ça, il l’a proposé. « Tu pourrais venir avec moi à Angers. Même si je travaille dur, au moins tu verrais les spectacles… » Mais Suzy avait refusé. Elle ne voulait pas me laisser seul avec les enfants. Et puis elle se sentait encore fatiguée…
Tout plein d’arguments que je me pensais dans mon for intérieur à moi, et personnellement, assez fallacieux. « Ça serait-y pas qu’elle a envie de se retrouver seule avec moi ? » que je me suis dit…
Non, je n’avais pas vraiment le cœur à plaisanter. Et s’il est vrai que le refus de Suzy m’a quelque peu étonné, j’y ai plutôt vu une preuve de plus que quelque chose ne tournait pas rond pour elle. Pourtant, je les avais pas mal observés ces trois derniers jours. Discrètement, bien sûr. Mais j’étais comme aux aguets, à vouloir déceler les indices d’une anomalie… D’évidence, leur couple était toujours dans la plus parfaite harmonie. Elle le dévorait des yeux. Peut-être même, si cela était possible, encore plus qu’avant l’été. Je voyais s’épanouir devant mes yeux, avec quelques petits pincements au cœur, je l’avoue, cette douce complicité qui nous avait unis en nos premières années de couple. Prévenante, elle anticipait le moindre de ses désirs. Sous le charme, il multipliait les attentions et les gestes de tendresse. Ce qui n’échappait pas aux garçons qui dansaient autour d’eux en psalmodiant :
« Oh, les amoureux ! Oh, les amoureux ! Oh, les amoureux ! »
Non. C’est autre chose. Je me sens devant un trou noir qui me met de plus en plus mal à l’aise. J’ai décidé d’attendre que nous nous retrouvions en tête à tête. Là, dans l’instant, elle finit de leur dire bonsoir. Je l’ai précédée dans ce cérémonial. Tacitement nous savons que nous ne devons pas faire le tour des chambres ensemble. Les enfants ont intégré notre séparation, il ne s’agit pas de semer le trouble dans leur esprit…
Comme le faisait mon père, j’ai tiré le lourd fauteuil du salon sur la terrasse. Confortablement installé, les pieds sur un tabouret, je savoure un petit cigarillo. Papa n’avait pas les moyens de ce luxe. Il mâchouillait son fume cigarette encore chargé d’un bout de mégot éteint…
Suzy tire un simple fauteuil de jardin pour venir s’installer auprès de moi. Les bras croisés, repliés sur ses épaules, elle frissonne… « Dis, il fait un peu frais ce soir… ».
Je soupire de bien être. « Comme toujours auprès du lac… Tu entends les grenouilles ? »… Allons… Nous n’allons quand même pas parler de la pluie et du beau temps… Du lac, des grenouilles qui ont oublié que la saison des amours est finie, ou du silence quand à la nuit tombée les cigales se décident à se taire…
Nous nous taisons, nous, surtout. Un long moment. Qui pourrait être très agréable, s’il n’y avait cette insistante pression sur mon cœur. Je ne sais pas comment commencer. J’ai bien essayé il y a deux ou trois jours d’ébaucher une interrogation. Mais elle m’a coupé, un peu brutalement : «Mais non, que vas-tu chercher ? Je vais bien, je vais très bien même… » Je me sens tellement balourd…
- Maman et Papa aimaient bien s’installer comme ça le soir, face au lac. Ils y restaient des heures, sans allumer la lumière. A écouter les bruissements de la nuit…
- C’est dommage que ta mère ait refusé de venir passer quelques jours. Ça lui aurait changé les idées. Et elle aime tellement les enfants…
- Et toi aussi, tu aimerais qu’elle soit là, n’est-ce pas ?
- Que veux-tu dire ?
- Je crois que vous vous entendez bien toutes les deux, non ?
- Ça c’est sûr. Je me sens plus en confiance avec elle qu’avec ma propre mère. C’est dur de dire ça, non ? Mais pourtant, c’est tellement vrai !
- Pourquoi dur ? C’est comme ça, c’est tout. Elle-même s’entend mieux avec toi qu’elle ne s’est jamais entendue avec moi ! Bien que, tu le sais bien, je n’ai rien à lui reprocher…
- Mais ça, c’est normal. Tu es un homme. Il y a des choses que nous comprenons sans parler, entre femmes…
- Et par exemple, si elle était ici, il y a des choses qu’elle aurait déjà comprises, elle ?
- Mais quoi ? Tu es pénible ! Arrête de parler par énigme à la fin ! Si tu as quelque chose à dire, tu le dis. Point !
- Suzy… S’il te plait… Je n’ai vraiment pas envie d’une passe d’armes… Nous sommes si bien, là…
- Ben alors, arrête, toi ! Depuis trois jours je te sens là, tourner autour du pot… C’est pénible à la fin ! Tu imagines quoi ? Que je suis malheureuse ? Que tu me manques ? Que quoi ?
- Suzy… Je ne prétends rien. Je n’imagine rien. Nous nous connaissons tellement tous les deux ! Tu crois, toi, que parce que nous sommes séparés, je ne te connais plus aussi bien, et que je ne comprends rien à rien ? Mais Suzy, je te connais toujours aussi bien, tu sais. Et quand je dis que quelque chose ne tourne pas rond… Je ne sais pas quoi. Ça… Justement ! Je pense que ce n’est pas directement lié à Nico, parce que ça se voit comme le nez au milieu de la figure que vous vous aimez toujours… Je dirais même de plus en plus… Mais ma Suzy n’est pas comme d’habitude, il y a quelque chose. Ça, j’en suis sûr. Et je suis triste de voir que tu refuses de te confier. Oui, c’est peut-être con, mais ça me fait mal…
- … …
- Suzy !!
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