Elle s’est levée brutalement, et s’est réfugiée à l’intérieur. Je suis surpris. Déstabilisé. Ça non plus ce n’est pas elle ! Une angoisse irraisonnée noue de plus en plus fort ma gorge. Qu’y a-t-il de si grave qu’elle ne puisse l’affronter ? Elle ?
Je ne peux pas la laisser ainsi. Je rentre pour la rejoindre. La retrouver, d’abord. Où s’est-elle réfugiée ? Pas loin. Elle est dans sa chambre, assise sur le lit. Les genoux serrés, courbée en avant, ses mains jointes sur ses genoux tripatouillent un mouchoir. Elle a pleuré. Elle pleure.
Je reste un moment interdit. Elle pleure si rarement ! L’apparence. Toujours l’apparence ! Pour rien au monde elle n’accepterait de donner sa détresse en pâture. Dès lors je sais que c’est grave. Tout doucement, je viens m’asseoir auprès d’elle. Sans bouger. En silence. De longues minutes. Et puis je laisse aller ma main qui d’elle-même vient recouvrir les siennes. Sans un mot. En silence.
Enfin elle se jette dans mes bras, laissant libre cours à son chagrin, les larmes libérées se déversent sur ma joue. Ma main hésitante vient caresser ses cheveux. Je dénoue la barrette qui retient ses cheveux en un chignon savamment désordonné. Sa belle chevelure se répand sur ses épaules et vient cacher son visage. Elle ne dit rien. Je n’ai plus d’impatience. Je sais qu’elle va se confier.
Je bouge légèrement pour pouvoir poser un baiser sur son front glacé. Elle se redresse, essuie ses dernières larmes.
- J’ai un cancer…
- Depuis quand le sais-tu ?
- Quelques jours avant de venir ici. J’ai fait les examens habituels. La mammographie a signalé une anomalie. Le radiologue m’a demandé de retourner voir le Docteur Marchandeau. Voilà.
- Et le diagnostic est catégorique ? Tu as passé d’autres examens ?
- Non, pas encore. Marchandeau m’a dit que c’était très probablement une tumeur, mais qu’elle était dépistée à temps. Il faut faire une biopsie pour confirmation. J’ai pris rendez-vous début Août. Il n’y avait pas de créneau avant…
- Il faut attendre confirmation, ma chérie. La mammo n’est pas un examen fiable à cent pour cent…
- Marchandeau n’a aucun doute. C’est le type de cancer qui doit être précisé.
- Tu en as parlé à Nicolas ?
- Non ! Je n’ai pas pu. Je ne veux pas l’inquiéter sans avoir des éléments précis à lui donner. Ça va être tellement dur pour lui ! Il est tellement dans le rêve ! Encore…
- Tu me surprends, là… Tsss… Ne me dis pas que tu as peur qu’il fuie ! Ça ne me semble pas du tout son genre !
- Oh ! Non, pas ça ! Mais il rêve tellement que nous fassions un enfant… Un enfant à lui…
- Et alors ? Ce n’est pas à écarter. Pas encore. Tu as jusqu’à présent été férocement partisane de dire toujours la vérité, il me semble. Non ?
- Je sais. Je sais. Mais là, je n’ai pas pu. Et c’est ce qui me rend le plus malheureuse. C’est de toi dont j’avais besoin dans ces moments…
- Je serai là. Je serai toujours là quand tu auras besoin de moi. Je resterai à ma place, crois-moi, j’aime et respecte Nico. Mais je serai toujours là quand la mère de mes enfants aura besoin de moi… Je t’aime encore un petit peu, tu sais ?
- Je sais. Je savais. Pardonne-moi pour tout à l’heure. J’étais en rage de me sentir ainsi percée à jour par toi. Je voulais tellement que rien ne transparaisse…
- Tu n’as rien à te faire pardonner. C’est encore moi qui ai été plutôt lourd sur ce coup… Comme toujours… Mais Marchandeau t’a dit quoi, exactement ? C’est quel sein ?
- Le droit. Il dit que d’après la mammo la tumeur est inférieure à cinq millimètres. Qu’il faut voir si elle est intrusive. Que l’opération peut, peut-être, être évitée. Mais il m’a quand même demandé d’y réfléchir. Il a beaucoup insisté sur le fait que maintenant, avec les reconstructions simultanées, l’intervention n’est plus traumatisante comme autrefois, surtout lorsque la tumeur est prise à temps…
- C’est plutôt rassurant, non ?
- Tu trouves ? Plus j’y pense, et plus je pense qu’il a pris beaucoup de précautions oratoires. Comme s’il voulait me préparer à plus grave…
- C’est bien toi, ça… Farouchement partisane de la transparence et du «parler vrai», et si le toubib pose clairement cartes sur table, comme il nous connaît, alors tu soupçonnes anguille sous roche…
- Je suis tordue, tu ne le savais pas ?
- Ouais… Mon adorable tordue… Mais dis-moi, ce coup de fil en juillet, que je n’ai pas bien compris… Tu savais déjà ?
- Je sortais de chez Marchandeau. J’avais besoin de te parler. Mais je n’ai pu rien dire au téléphone. Et dès que je t’ai eu au bout du fil, j’ai ressenti ma démarche complètement déplacée…
- Déplacée ? M’appeler à l’aide est déplacé ?
- Non ! Paniquer sans avoir d’éléments plus précis était déplacé. Ce n’est pas moi, tu le sais bien. Mais la menace de cette ignoble maladie enlève toute lucidité et objectivité… Je me suis dit qu’il serait bien assez tôt d’en parler ici, à Mimizan, après les autres examens. Et j’ai raccroché. Je ne savais pas alors qu’il me faudrait attendre aussi longtemps le rendez-vous pour la biopsie…
- Je comprends que cette attente doit être effroyable… Et notre système de santé est l’un des plus performants d’Europe… Je te dis pas les pauvres anglaises…
- Excuses-moi… Mes propres soucis me suffisent…
- Je suis un idiot…
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