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Je comprenais pourquoi Mireille l’avait convoqué, et ne m’avait rien dit. L’assistante, depuis qu’elle était rentrée dans le bureau, ne cessait de parler et d’argumenter sur les évidentes compétences de son protégé. Il fallait absolument qu’il obtienne cet emploi. A plusieurs reprises je lui ai fait signe que je lisais. Plaçais deux ou trois fois un « Un instant je vous prie… ». En vain.
Je comprenais pourquoi Mireille l’avait convoqué, et ne m’avait rien dit. L’assistante, depuis qu’elle était rentrée dans le bureau, ne cessait de parler et d’argumenter sur les évidentes compétences de son protégé. Il fallait absolument qu’il obtienne cet emploi. A plusieurs reprises je lui ai fait signe que je lisais. Plaçais deux ou trois fois un « Un instant je vous prie… ». En vain.
Depuis tout à l’heure, je ne cesse de me dire que j’ai été lâche. Je me haïssais à la fin de l’entretien. Mais j’ai beau réfléchir. Je crois que je n’avais pas d’autre choix.
J’ai débuté l’entretien par une méthode que je n’utilise plus depuis bien longtemps, en « descendant » avec lui son CV. Je l’ai fait parler de ses différents postes, et bien entendu, je n’avais rien à relever. Les « trous » étaient justifiés par des hospitalisations. Il m’a parlé d’une thyroïdite de je-ne-sais-plus-quelle-moto… avec signes cliniques exceptionnels… Que répondre ? Surtout ne pas faire allusion à la COTOREP. Il ne peut ignorer son existence. D’évidence c’est son choix de répondre à des offres standard. Et je le comprends volontiers.
J’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai parlé de notre métier de service aux entreprises. Bien entendu il ne le connaît pas dans sa réalité, et je leur ai expliqué patiemment, à lui et à son assistante, les contraintes et les limites de ce type de prestations. A chaque nouveau client, tout est à recommencer, dont se faire reconnaître et accepter. Que je ne pensais pas souhaitable qu’il soit ainsi mis en permanence sous tension. Que ce métier, très stressant, nécessitait une santé sans faille. Qu’il implique de nombreux déplacements, parfois longs et pénibles. Que je ne pouvais donc pas l’intégrer dans l’équipe. Il était figé. Sans un mot. Les yeux absents. Mes boyaux jouaient à faire des nœuds. Et puis je lui ai longuement parlé des autres types de prestations. Que d’autres entreprises travaillaient dans leurs propres locaux pour des clients extérieurs, ou en assurant des services à distance. C’est vers là peut-être qu’il pouvait espérer des ouvertures. J’ai essayé d’être convaincant à l’intention de cette malheureuse assistante, qui semblait faire tout son possible, mais n’avait rien compris à notre métier.
J’ai essayé d’être honnête. Mais je ne suis pas allé jusqu’au bout. Je ne suis pas content de moi. Pour être totalement fidèle à mes idées, j’aurais dû prendre en charge l’accompagnement de ce garçon, jusqu’à ce que nous lui trouvions un emploi adapté. Alors, j’aurais pu paisiblement me regarder dans une glace. Je n’ai pas eu la volonté ni le courage d’aller jusque là. Mais merde ! A chacun son métier, non ?...Ce soir, je me sens vide, vide !
Il me tarde que Domi appelle. Je vais lui faire l’amour au téléphone comme nous ne l’avons encore jamais fait. Il ne va pas être déçu du voyage ! Ah ! si il n’était pas aussi réticent à l’informatique ! Je lui aurais offert un portable, et nous pourrions faire des « plans cam »… j’ai toujours eu horreur de ça, mais avec lui… J’ai soif de lui, de son image, de sa peau, de son rire, de sa tendresse, de sa tige dressée et agressive… La pulpe de mes doigts souffre de l’absence du satiné de son corps. Ce soir, je sauterais bien dans la voiture pour le rejoindre dans son Jura profond… Mais demain j’ai une lourde journée. Une grosse partie des bilans annuels de mes collaborateurs, avec plans de carrière à la clef. Ce qui tourne parfois à la haute voltige… J’ai soif de lui. Ce n’est pas encore l’heure du coup de téléphone ?
Une bonne chose de faite. Ces derniers jours, j’ai reçu tous mes collaborateurs, un à un. Même ceux qui me quittent à la fin du mois. C’est la vie, et le métier qui veut ça. Le monde professionnel est si petit ! Sans aucun doute nous nous croiserons de nouveau un jour. J’ai d’ailleurs bien pris soin de laisser les portes grandes ouvertes. Deux des démissionnaires rejoignent les équipes des clients chez qui ils intervenaient. Ceux-ci, déjà, je vais être amené à les revoir. Pas plus tard qu’à la rentrée prochaine…
L’entretien avec Brigitte n’a pas manqué de sel. Au lieu de l’augmenter, je lui ai proposé de lui payer des cours d’orthographe. Ce serait tout bénef pour nous deux… Elle a parlé de démissionner, qu’un concurrent lui faisait une proposition alléchante… Puis elle a ri. Je ne sais pas plaisanter paraît-il : mon nez bouge quand je mens…
La rencontre avec Nathalie a été une autre affaire… Rien de dramatique. J’ai simplement dû puiser au plus profond de mes capacités d’argumentation. Nathalie est une excellente collaboratrice. Mais avec un doute permanent sur ses capacités. Ce qui lui a valu d’échouer à ses examens de fin d’études, alors que ses résultats tout au long de l’année avaient été plus que satisfaisants.
J’ai toujours été un défenseur acharné de la parité. Je veille à ce que mon équipe soit équilibrée, autant de femmes que d’hommes, et je n’admets aucune différence entre les deux sexes, tant au niveau plan de carrière qu’au niveau rémunération. Ce n’est pas toujours facile à gérer, mais c’est un problème que j’assume sereinement. Un Chef de Projets me quitte, je dois le remplacer en urgence. Pour lui succéder, j’ai très vite pensé à elle, impliquée sur le même projet et qui a toutes les compétences requises. Refus catégorique. J’ai donc lancé le recrutement, et ce n’est pas évident du tout. Mais alors pas du tout ! J’attendais donc cet entretien pour relancer ma jeune collaboratrice…
Discussion serrée. Remise en cause de mon propre fonctionnement. En travaillant trop et n’importe comment, je fais peur à mes collaborateurs. Ils s’imaginent que j’attends d’eux un investissement équivalent, un dévouement aveugle… Autrement dit, je me plante sur toute la ligne…
Je travaillais trop, sans savoir gérer mes priorités. J’ai perdu Suzy.
Je touche à tout et vais dans tous les sens. Je fais fuir mes meilleurs collaborateurs…
Je continue ainsi, et même Dominique perdra patience…
Non, ce n’est pas possible !
J’analyse avec Nathalie ces étranges mécanismes d’une fuite en avant.
Elle accepte de tenter l’aventure. Parce qu’au final, malgré tout… Elle m’aime bien.
Ouf… J’ai mon Chef de Projet. Je vais pouvoir partir sereinement en vacances…
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