Je savais. Mais entre savoir et prendre conscience de… Maintes fois, lorsque lui me disait son amour, me faisait toucher du doigt l’intensité de ses sentiments, je savais qu’il pouvait être cruel pour lui que je ne prononce jamais ces mots : « Je t’aime »… Je n’en étais pas capable. Je savais. Mais je n’avais pas mesuré l’étendu de sa souffrance. Je n’avais pas mesuré les ravages du doute…
Et soudain, là, c’est une évidence qui me saute au visage. Le jogging. Il était seul pour le jogging, et je l’ai envoyé dans un secteur du bois connu pour son potentiel de rencontres… Il a fait un truc. Je ne sais pas quoi, mais il a fait un truc…
Je prends sa tête dans mes mains. Fermement. Il essaye de fuir mon regard, mais je tourne son visage vers moi. Je dépose un chaste baiser sur ses lèvres.
- Tu as laissé un mec t’approcher et maintenant tu es dévoré par la culpabilité, c’est ça ? C’est bien ça, hein ?
Il m’enlace encore plus violemment, m’obligeant à libérer son visage qu’il vient blottir sur mon épaule.
- Je ne veux pas te perdre… Je t’aime, Al. Tu le sais bien que je t’aime… Pardon, pardon… J’ai perdu la tête…
Je me libère, et l’éloigne, le tenant à la distance de mes bras tendus…
- Holà, holà… Il me semble qu’il faut que l’on parle un petit peu… Viens sur le canapé. J’ai envie d’une bière. Tu en veux une ?
Nous nous installons, nos bières en main, je le cale sur mon épaule, pose un tendre baiser sur son front rendu brûlant par l’émotion.
- Nous n’avons jamais eu à proprement parler une discussion de fond sur ce sujet, mais tu connais quand même bien mon opinion. D’une, je ne suis pas jaloux de nature. Je ne l’ai jamais été, pas plus vis-à-vis de Suzy que vis-à-vis de toi aujourd’hui… De deux, tu ne m’appartiens pas, et je ne vois pas à quel titre tu aurais à me rendre des comptes. De trois, je ne crois pas, je n’ai jamais cru à la fidélité des corps. Les pulsions sexuelles, le désir, sont des phénomènes naturellement humains. Sans doute doit-il être possible de les dépasser, de les sublimer. Mais à quel prix ? L’énergie phénoménale que l’on devrait y consacrer peut s’employer bien mieux ailleurs, non ?
- Oui, tu as souvent fait des allusions à ces idées. Au sujet de votre couple avec Suzy. Mais je suis sûr que toi tu n’as rien à te reprocher, et c’est moi qui mets le premier coup de canif dans notre relation…
- Ah non ! Pas l’histoire des coups de canifs… Pourquoi pas une dague ou une épée ? Voyons les choses en grand ! Ridicule. Canif ou Excalibur… Je trouve ton amour plus grand si tu le choisis et me reviens en connaissance de cause. Je me sens plus fort si je t’aime quand même… En tout, j’ai toujours préféré les choix «bien que» aux évidents «parce que»…
- Pourtant, d’un coté, jusqu’à aujourd’hui, tu ne m’as jamais dit « je t’aime », et de l’autre j’ai la certitude que tu n’as jamais batifolé ailleurs depuis que nous nous connaissons…
- C’est exact. Mais je considère n’avoir aucun mérite, ni m’être plié à quelque principe moral que ce soit. Je n’en ai jamais eu envie. C’est tout. N’ayant jamais été submergé par la vague d’un désir sauvage, je ne peux avoir la fierté d’y avoir résisté… Je ne sais pas ce que nous réserve l’avenir. Je ne le dis pas maintenant, parce que… Aujourd’hui, tout mon esprit est rempli de toi, chaque minute je suis estomaqué du bonheur qui m’est tombé dessus. Ta jeunesse, ton intelligence, ta curiosité, ta fraîcheur, ta beauté, ta sensualité… Demain est un autre jour… Mais, maintenant que je suis parvenu à briser ce blocage face à un mot qui semblait m’avoir quitté en même temps que Suzy, je peux te le dire. Je t’aime. Je t’aime passionnément. Et jamais je ne te quitterai. Quoi que tu fasses. Quoi que je puisse faire tôt ou tard.
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