lundi 19 mai 2008

Rencontre à la gare





Je dois bien le reconnaître, quitter il y a un an tout ce qui avait été ma raison de vivre pendant près d’une quinzaine d’années ne m’a pas été facile. J’avais beau rouler des mécaniques et veiller à ce que, surtout, surtout, ma souffrance ne transparaisse pas et n’engendre pas pour Suzy une culpabilité que je n’aurais pas supportée, la douleur effroyable était là. Heureusement anesthésiante.
J’avais joué avec le feu, j’étais brûlé. Au quinzième degré.
J’avais joué avec les sentiments de Suzy. Elle avait coupé le fil trop distendu. Et re-bobiné sa pelote.
J’avais joué avec mes sentiments. Je n’avais plus d’âme.
J’avais cru que Suzy ne pouvait aimer que moi. La preuve par neuf. La preuve du neuf.
J’avais cru que mes enfants étaient un bouclier invincible. Je n’ai pas vu que lassés eux aussi de m’attendre, ils avaient posé les armes.
J’avais cru que tout m’était acquis. Je n’avais plus rien.
J’avais joué au con. J’étais un con. Seul.

Certains ont dû penser, d’autres ont dit, que je ne m’étais pas suffisamment battu. Que j’avais levé le drapeau blanc trop tôt. Ceux-là n’ont pas vu les yeux de Suzy lorsqu’elle a accueilli Nicolas qui venait me parler. Un regard qui n’était qu’à moi. Un regard que je me croyais strictement réservé. Le regard qui me faisait tout accepter, tout, depuis quinze ans. Un regard que je ne peux pas partager. Il ne m’appartient plus, je me retire. Sans bruit.

Beaucoup ont dit que je n’avais que ce que je méritais. Que l’on paye toujours, un jour ou l’autre, les infidélités à répétition. Que les coups de canif dans le contrat ne sont jamais sans conséquence. Que l’on n’a pas le droit de distribuer à la volée la tendresse qui n’appartient qu’à une seule personne. Qui lui revient de droit. On a dit tant de choses. Un couple hors normes dérange. Fait peur. Chacun se sent agressé dans son petit cocon douillet. J’ai toujours chassé ces murmures et grincements de porte d’un revers de main. Je n’ai jamais trompé Suzy.
Nous nous sommes connus alors que je vivais avec Jean-Yves, mon compagnon depuis près de deux ans, et accessoirement l’un de ses collègues. Nous nous sommes aimés dès le premier regard. Et nous n’avons rien dit et rien fait pendant des mois.
Je n’ai jamais cru à la fidélité des corps. Je ne crois qu’à la fidélité des âmes. Mes aventures hors couple n’étaient pas rares. Mais avoir une relation avec une femme, qui plus est une des collègues de mon compagnon, me semblait impensable. C’eut été une double trahison. Les relations sexuelles entre gays peuvent être, sont souvent, sans conséquence. Tu me plais, je te plais, youp là boum… Au revoir, à la prochaine. Je ne connais pas ton prénom, tu ne connais pas le mien ? Pas grave. La prochaine fois peut-être ?…
Une femme attend un minimum d’investissement personnel. Oh, bien sûr, j’ai aussi connu des aventures féminines sans engagement et sans lendemain. Les mœurs de nos jours sont quand même plus libres que du temps de nos vieux. Mais des rencontres fortuites. Des délires de fin de «teuf ». Pas des collègues de mon mec.
Comme d’ailleurs je n’ai jamais mélangé sexe et travail. Mecs ou filles. Ce n’est jamais sain. Ce n’est jamais sans conséquence.


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