jeudi 22 mai 2008

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Alors, quelques temps plus tard lorsque j’ai revu son profil apparaître à l’écran, j’ai eu comme … ? Disons, une grosse bouffée d’envies. Je pouvais libérer la fin de semaine. Je l’ai contacté. Il était partant. Je devais passer le prendre à la gare de Corbeil, où arrive son train direct, le samedi vers seize heures.

Je l’attendais. Tout émoustillé. Un collégien à son premier rendez-vous. Le train est arrivé. Il n’était pas à l’intérieur. J’ai consulté les panneaux. Un autre arrivait de la même direction dans trois quarts d’heures. Je consultais ma messagerie. Rien. Je décidais de patienter jusqu’au train suivant.
Les toilettes des gares sont des lieux occasionnels de rencontre. Celles des grandes gares parisiennes ont même leur renommée, et leurs histoires célèbres. « L’homme blessé » de Patrice Chéreau en a immortalisé quelques scènes qui malheureusement sont à ravaler maintenant au rang des souvenirs. Tout a été aseptisé… Les gares de banlieue ne sont guère fréquentées, mais des fois… Je vais y faire un tour. Rien. En sortant, je remarque un jeune qui fait les cent pas le long du quai. Je l’avais entraperçu à aller, et il ne m’aurait pas déplu qu’il me suive… Il semble absorbé dans une profonde méditation. Grand, mince, un long imperméable gris, entrouvert, ceinture pendante, traîne presque jusqu’au sol Ses longs bras maigres pendent le long du corps, l’un d’eux se relevant régulièrement pour que la main repousse la longue mèche rebelle et bouclée qui lui tombe sur les yeux. Des yeux qu’il a en permanence baissés, comme s’il cherchait quelque chose sur le sol.
Il a un visage décomposé. Oh, oh ? Chagrin d’amour ? Je vais, je viens, je passe et repasse auprès de lui. Il ne me voit pas. En le croisant, je racle ma gorge, tousse. Rien. Je devrais lui adresser la parole. Je fais à nouveau demi-tour et je le frôle à presque le bousculer en retournant vers les toilettes. Rien. Je ne fais qu’entrer et sortir de l’édicule. Quand je le vois, il est presque au bout du quai, à la fin du trottoir. Cette fois je vais vers lui, bien décidé à lui adresser la parole. Il ne va pas ce môme. Il faut que je lui parle.
Mais il a fait demi-tour, revient sur ses pas, et me croise de nouveau sans que je sois capable d’ouvrir la bouche…

Je l’observe, rêveur, frustré, démuni. Soudain, mon sang quitte mon visage, mon corps… Non, ce n’est pas vrai ? Il descend sur la voie ! Et le train express qui arrive à grande vitesse ! Je me mets à courir en hurlant : « Attention ! ». Rien, je ne peux rien faire.
Je n’ai que le temps d’entr’apercevoir sa longue silhouette couchée en travers de la voie.
Le vacarme du train, sifflet strident bloqué à son maximum.
Les roues bloquées font un bruit assourdissant.
Un éclair. Le train s’arrête péniblement loin après sa sortie de la gare.
Les gens qui hurlent. Et courent dans tous les sens.
Une femme hurle plus fort que tous les autres, les mains sur son visage. Une tête est posée, entière, là sur le quai auprès d’elle.
Le personnel de la gare qui se précipite vers les gens les plus affolés.
Les secours qui arrivent très vite. Ridiculement vite.
Des employés qui se précipitent sur les voies avec des sacs poubelles. Pour récupérer les déchets humains.
La tête prise par la mèche rebelle. Mise dans un sac.
La police, partout.
Une ambulance des pompiers est montée sur le quai. On y fait entrer les gens traumatisés. Une cellule psychologique se met en place.
Je ne veux pas.
Je deviens fou. Non. Pas fou. Je ne suis plus. Je suis vide.

Je suis un criminel.


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