Une lettre. Domi m’envoie une lettre. Il me téléphone tous les soirs, lorsque ses préados sont couchés, avant qu’il ne rejoigne la réunion d’équipe. Mais il a jugé utile de m’expédier une lettre…
Je souris. C’est notre première vraie séparation depuis neuf mois. Ce camp qu’il organise pour la troisième fois avec Jean, le prof de français, est très important pour lui. Ces garçons et ces filles ne quitteraient pas la banlieue sans leur initiative. Ils ont dû batailler ferme avec l’administration, les parents, les jeunes même… Maintenant, ce séjour en montagne, canoë kayac et jeux de pleine nature, est devenu une institution. Incontournable. Des mômes de treize à quinze ans découvrent que le paysage peut être fait d’autre chose que de barres d’immeubles. Et les relations établies hors système scolaire avec des cinquièmes et quatrièmes aident fortement à la réussite de l’année scolaire suivante. Pour les troisièmes, c’est un peu leur cadeau de fin de scolarité au collège. Je serre les dents en pensant au discours ambiant sur la belle vie des enseignants avec leurs deux mois de « grandes vacances »… Nous avons eu du mal à préserver quinze jours de libres pour être ensemble. Et mes enfants seront avec nous. Ce ne sera pas cette fois-ci, les vacances en amoureux dans un pays exotique…
Il m’écrit. Hier au soir il ne m’a rien dit au téléphone. Pourtant, la lettre était déjà postée… Surprise ? Je porte la lettre à mon visage. Malgré le voyage, les sacs de colis bousculés et empilés, les multiples mains qui ont tripoté ce bout de papier, je sens son odeur. Et mon cœur se met à battre. Redeviendrais-je romantique ? Je l’aime. Il me manque. Je sors mon canif porte-clef pour l’ouvrir : je n’aime pas déchiqueter les enveloppes.
Mon amour,
Tu me manques. Tout à l’heure je vais te téléphoner, j’ai hâte d’entendre ta voix. J’ai hâte de te retrouver. Mais je ne te parlerai pas de ce que je vais écrire ici. Je te dirai deux mots de la journée, bien sûr, mais je ne te parlerai pas de l’incident. C’est trop difficile, trop flou. J’ai besoin d’un écrit que je puisse relire, corriger. Que nous puissions revoir ensemble. Une trace. Je n’ai pas encore tout compris de ce que j’ai vécu cette après-midi. Il me reste un trouble. Des interrogations.
Avec Jean, nous avons décidé d’organiser la chasse à l’homme aujourd’hui. Ce jeu est un peu devenu une institution du camp, qui permet de découvrir les environs. La veille, nous avons soigneusement préparé le parcours avec l’équipe. Comme d’habitude, c’est moi qui m’y suis collé. Cette sorte de jeu de piste consiste à poursuivre et débusquer l’homme en fuite (moi), chaque équipe de cinq ou six disposant d’indices qui, d’étape en étape leur font effectuer un parcours adapté à leur âge. Ce n’est pas simple à organiser. Mais là n’est pas le problème.
La matinée s’est super bien passée. Chaque groupe a rejoint les points de pique-nique dans les délais prévus. Planqué à distance, dans les hauteurs, j’avais pu suivre avec les jumelles l’essentiel des opérations. J’ai mangé seul ce que j’avais emporté et je me suis reposé en vue de la course poursuite finale. Lorsque les premiers groupes m’ont repéré, c’est aux plus rapides et aux plus débrouillards de mettre la main sur moi… La main… Je ne me laisse pas prendre comme ça, et ils doivent me faire prisonnier…
Cette année, c’est un groupe de cinquième qui s’est montré le plus malin et le plus acharné ! Des mômes de treize, quatorze ans ont fait la nique aux plus grands et ont réussi à me coincer dans une impasse. J’ai joué le jeu jusqu’au bout et me suis débattu comme un beau diable… Ils n’étaient pas trop de cinq pour me plaquer au sol.
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